samedi 7 janvier 2017

Le Musée national de l’Éducation à Tunis: Approche didactique du patrimoine éducatif




Première rencontre francophone des Musées de l’École,
Musée National de l’Education (France)
(Rouen les 12-13 Novembre 2016)

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Le Musée national de l’Éducation à Tunis:
Approche didactique du patrimoine éducatif [1]
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 Introduction :

Le Musée national de l’Éducation à Tunis est créé par le Décret daté du 10 Septembre 2001[2], au sein du Centre National d'Innovation Pédagogique et de Recherches en Éducation (CNIPRE, l’équivalent de l’INRP français). Son site architectural est conçu dans un espace muséal disposant de commodités (sonorisation, multimédias, salles d'exposition, etc…) alliant la modernité au patrimoine national. Il s’agit du premier musée en Tunisie qui n’est pas logé dans les murs d’un ancien palais.

La mise en place des équipements et la collecte des ressources du patrimoine éducatif, auprès des écoles publiques, débutèrent en 2003, cinq ans avant l’ouverture officielle (4 novembre 2008) à l’occasion de la commémoration  du cinquantenaire de la création du système éducatif tunisien.

Quant à l’organisation du Musée, elle s’était faite autour de trois unités :
-  Unité Muséographique (exposition et entretien des collections)
- Unité Animation culturelle (accueil des visiteurs et notamment des excursions scolaires, visites guidées, ateliers…)
- Unité de Recherche en Histoire de l'Éducation (accueil et orientation des chercheurs, expositions documentaires, production de recherches, etc...)

L’approche muséographique suivie dans ce musée accorde une place primordiale à la didactique du patrimoine éducatif. Dans sa présentation, nous allons donc nous intéresser à la légitimité des activités didactiques dans un musée qui se veut allié de l’école et au rapport au temps du patrimoine éducatif. Pouvons-nous nous permettre ici de proposer alors, à la manière d’une lecture, une alternative sur le « comment peut-on  visiter autrement un musée de l’éducation ».

I – Approche innovante de la muséographie :

Si la didactique des disciplines, s’intéressant à la gestion des savoirs[3], analyse les processus d’enseignement/ apprentissage en classe, la didactique du patrimoine s’intéresse, quant à elle, au processus de la médiation au musée (visites guidées, expositions, ateliers d’animation, de jeux récréatifs, etc…) entre la mémoire éducative (matérielle et immatérielle), dont le musée est détenteur, et le visiteur (qu’il soit scolaire ou non) en vue de l’assimilation ou l’appropriation du patrimoine éducatif.

Cette approche implique la conception de situations-problèmes en vue des légitimations scientifiques des savoirs patrimoniaux (matériels et immatériels) à diffuser et à acquérir par les visiteurs. Le rapport au patrimoine éducatif au musée, lieu de mise en scène de contenus historiques, peut être ainsi revisité, renouvelé en permanence.

Le présent paradigme implique un travail sur le développement des représentations du temps (court, moyen, long, présent, passé et futur) sur le rapport ou la rencontre de (ou des) identités et de l’altérité et sur les valeurs en partage pour donner un sens vivant au patrimoine éducatif.

Ainsi, une entrée par l’épistémologie (rapport à l’histoire, ses fonctions et finalités, à quoi sert-elle ? …) s’impose en vue d’une gestion des savoirs patrimoniaux en muséographie, pour dépasser les représentations figées de l’histoire (longtemps cernée entre dates et événements). Cette approche vise également à cultiver la curiosité scientifique des jeunes chercheurs, en quête de thématiques de recherche.




 

       



























           








Nous pouvons en fournir ici un exemple : à l’entrée de ce musée, aux référentiels spatial, temporel et linguistique en rapport intime avec la Méditerranée[4], se dresse une fresque géante (voir ci-dessus), comme pour interpeller le visiteur. Elle place l'école tunisienne dans son contexte civilisationnel. Les alphabets, les savoirs et le rôle de l'école, en tant que vecteur de diffusion des connaissances, y sont largement visibles au moyen de plusieurs supports didactiques. L’approche thématique, génératrice de problématiques, semble ainsi se substituer au traditionnel linéaire et aux représentations figées.

          Un certain nombre de références épistémologiques au patrimoine éducatif sont perceptibles au visiteur: Il s'agit notamment de l'œuvre de Fernand Braudel (1902-1985)[5], de l'influence des idées de Henri Bergson (1859-1941)[6], opposant l'intériorité de la durée à l'extériorité de l'espace ou encore de celles de Paul Ricœur (1913-2005)[7] sur la continuité et l'intelligibilité du temps. Toutes ces idées ont inspiré cette expérience muséale  et traversent, en fait, dans la longue durée, aussi bien les institutions traditionnelles du savoir (telles que les Goutté) et les outils de sa diffusion (le Kalam et les planches), que les institutions modernes actuelles d'éducation[8] et leurs supports virtuels (tels que le tableau interactif, l'Internet ou le Web, occupant l'espace des médias au musée…)

          Cette approche didactique, au Musée de l'Éducation, a bénéficié, il est vrai, des enseignements et de recherches en Histoire de l'éducation et en didactique de l'Histoire que nous menons depuis des années, notamment, à  l'Institut Supérieur de l'Éducation et de la Formation Continue ainsi qu'à l'École Normale Supérieure de Tunis.

II – Quelle Temporalité muséographique au Musée de l'Éducation ?

         Au musée de l’éducation à Tunis, le temps n'est ni figé, ni seulement linéaire. Il est reconstruit entre ses deux pôles négatif et positif (de l'avant et l'après J.C). La périodisation y commence à partir de 1101 av. J.C., date de l’apparition de l’alphabet phénicien au Comptoir d’Utique, fondé à cette époque non loin de ce que sera Carthage. Le visiteur y est amené à faire un va-et-vient continu dans une temporalité de longue durée au sein d’un espace didactique interactif. Les contenus, qui y sont exposés, forment des repères guidant la mémoire collective dans sa quête de réappropriation d'un temps scolaire, le plus souvent intime, voire assez affectif…

Visiter ce Musée de l'Éducation, c'est faire connaissance avec un univers accueillant conçu architecturalement pour une muséographie moderne, agencée dans un espace multifonctionnel à la fois clos et ouvert. Il s’agit d’un lieu où les sons du patrimoine musical universel, accompagnant le visiteur dans tous les rayons du Musée, inondés de toute part par une lumière naturelle, font oublier le temps des horloges, en intégrant celui du patrimoine éducatif dans sa permanence tranquille. C’est un lieu qui englobe plusieurs temporalités, dans une aire culturelle méditerranéenne formant une synthèse de civilisations aux six alphabets que les 1400 kilomètres de côtes méditerranéennes (tunisiennes) ont connus. C’est, en fait, une vraie Odyssée des cultures qui a inspiré les réflexions braudeliennes.

L'animation culturelle au musée, réalisée en atelier le plus souvent, dans un espace aux multiples médias, lieu d’attraction des excursions scolaires, est l’occasion de véritables activités didactiques. Celles-ci rendent le visiteur, particulièrement scolaire, plus réceptif en vue d'apprivoiser la permanence du temps éducatif, en saisissant ses deux extrémités, faisant du passé un temps allié du futur et de ses projets innovants.

          Visiter le Musée de l'Éducation, c'est appréhender ou fréquenter autrement le temps, qu'il soit historique ou présent, voire futur, à travers un mouvement temporel continu chargé d'émotion; C’est y acquérir une posture comparative entre le jadis et le présent ainsi qu'à travers les générations et leurs rapports à l'école et à la vie scolaire. Cette visite dans le temps est balisée de repères constitués de mille et une choses : du bol de lait chaud servi (jadis) à l'ouverture des classes, aux plumiers et encriers, aux Cahiers de Roulement, aux buvards, à "1.300 problèmes", aux "Leçons de Choses", aux manuels de lecture et aux représentations enfantines de gravures,  etc …

          Visiter le Musée de l’Éducation, c'est parcourir avec nostalgie des petits reliefs de la mémoire scolaire et caresser des souvenirs intenses qui ressurgissent à chaque coin des espaces d'expositions. C'est mettre en relief diverses représentations de choses scolaires et des rapports plus au moins affectifs avec ses anciens maîtres et maîtresses d'école. En un mot, c'est aussi ressusciter un temps chargé de valeurs éducatives où le maître ou la maîtresse adorée se substituait au père ou à la mère… La vénération de l'école, de ses éducateurs ainsi que de son savoir transcende,  en fait,  le temps vécu  dans sa permanence culturelle.

          Le temps scolaire, à travers ses symboles et repères transcrits des six alphabets (voir fresque ci-dessous) que la Tunisie, héritière de Carthage, a connus depuis l'époque phénicienne jusqu'aux cursus de l'enseignement traditionnel puis ceux de l'enseignement moderne, trace ainsi, dans son étendue de tolérance et de diversité culturelle, la trajectoire balisant la topographie de la mémoire collective nationale. Ce temps aussi bien scolaire qu’éducatif, permet d'en découvrir les reliefs, à travers les différents supports didactiques utilisés jadis et exposés soigneusement aux visiteurs (scolaires et autres) avec des notices explicatives dans des rayonnages en verre.

    Conclusion :     

          Visiter ce Musée de l’Éducation, lieu de ressourcement, de nostalgie mais aussi de rêve, ne constitue pas seulement une occasion d’immersion  dans les diverses représentations, mais plutôt de contemplation créative, d'inspiration… Cette visite permet aussi, parallèlement aux cours d'histoire sur les bancs de l'école qu'elle complète, de favoriser la sensibilité historienne, voire le développement d'une conscience citoyenne éclairée, à travers la dialectique : passé / présent / futur; trois moments, trois temps qui se rejoignent en symphonie dans chaque réflexion au présent concernant une causalité ou une perspective.

Mots clés : temps scolaire, patrimoine éducatif, didactique du patrimoine, école tunisienne, Méditerranée, muséographie éducative.                                                    

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Rayon d’exposition permanente de supports didactiques



Bibliographie :                                                                                                                                           
* AYACHI Mokhtar,
     -  Écoles & Société en Tunisie, Tunis : Centre des Études Économiques & Sociales, 2003, 474 p.
     -  Études d’Histoire culturelle : Histoire de l’éducation & Mouvements de Jeunes en Tunisie, Tunis : Centre des Publications Universitaires, 436 p.
     - Aux origines de l’école tunisienne: une synthèse de 32 siècles d’écritures (alphabets), de savoirs et d’enseignement, Tunis: CPU, 2012, 450 p. (en langue arabe).
     - (sous direction de) Circulation des Savoirs & Institutions d’enseignement dans l’espace arabo-méditerranéen, Actes du colloque international, Tunis : Publication de la Faculté des Lettres, des Arts & des Humanités, (sous presse) 2017, 380 p.

* BERGSON Henri, Durée et Simultanéité: à propos de la théorie d’Einstein, Paris: PUF, 1968, 7ème édition, 216 p.

* BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris : A. Colin, 1949, 1160 p.

* DURPAIRE François, Enseignement de l’histoire et diversité culturelle: "nos ancêtres ne sont pas les Gaulois", CNDP, 2002.

* MONIOT Henri, Didactique de l’Histoire, Paris : Nathan, 1993, 254 p.

* RICOEUR Paul, Temps et Récit, T. III : Le temps raconté, Paris : Seuil, 1985.
 
*
SRAÏEB Noureddine,
- Colonisation, décolonisation et enseignement: l’exemple tunisien, Tunis :    CNRS et Institut National des Sciences de l’Éducation, 1974, 350 p.
    - « L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945) », Revue du Monde musulman et de la Méditerranée, Aix-en Provence, 1993, n°1, vol. 68, pp. 239-254.



[1]  Par Mokhtar AYACHI, Professeur des Universités en Histoire de l’éducation et en didactique de l’histoire, Université de Tunis, membre du Conseil scientifique du Munaé.
[2]  Cf.  Journal Officiel tunisien (JORT)
[3]  MONIOT Henri, Didactique de l’Histoire, Paris : Nathan, 1993, 254 p.
[4] Cf. AYACHI Mokhtar, Aux origines de l’école tunisienne: une synthèse de 32 siècles d’écritures (alphabets), de savoirs et d’enseignement, Tunis: CPU, 2012, 450 p. (en langue arabe).
[5] BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris : A. Colin, 1949, 1160 p.
[6] BERGSON Henri, Durée et Simultanéité: a propos de la théorie  d’Einstein, Paris: PUF, 1968, 7ème édition, 216 p.
[7] RICOEUR Paul, Temps et Récit, T. III : Le temps raconté, Paris : Seuil, 1985.
[8] Cf.  AYACHI Mokhtar,
-  Écoles & Société en Tunisie, Tunis : Centre des Études Économiques & Sociales, 2003, 474 p.
-  Études d’Histoire  culturelle : Histoire de l’éducation & Mouvements de Jeunes en Tunisie, Tunis : Centre des Publications Universitaires, 436 p.

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