Première rencontre francophone des Musées de l’École,
Musée National de
l’Education (France)
(Rouen les 12-13 Novembre 2016)
Le Musée national de l'Education à Tunis:
Introduction :
Le Musée national de l’Éducation
à Tunis
est créé par le Décret daté du 10 Septembre
2001[2],
au sein du Centre National d'Innovation Pédagogique et de Recherches en Éducation
(CNIPRE, l’équivalent de l’INRP français). Son site architectural est conçu
dans un espace muséal disposant de commodités (sonorisation, multimédias,
salles d'exposition, etc…) alliant la modernité au patrimoine national. Il
s’agit du premier musée en Tunisie qui n’est pas logé dans les murs d’un ancien
palais.
La mise en place des
équipements et la collecte des ressources du patrimoine éducatif, auprès des
écoles publiques, débutèrent en 2003, cinq ans avant l’ouverture officielle (4
novembre 2008) à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de la création du système
éducatif tunisien.
Quant à l’organisation du Musée, elle s’était faite autour de trois
unités :
- Unité Muséographique
(exposition et entretien des collections)
- Unité Animation culturelle (accueil des visiteurs et
notamment des excursions scolaires, visites guidées, ateliers…)
- Unité de Recherche en Histoire de l'Éducation (accueil et
orientation des chercheurs, expositions documentaires, production de
recherches, etc...)
L’approche muséographique
suivie dans ce musée accorde une place primordiale à la didactique du
patrimoine éducatif. Dans sa présentation, nous allons donc nous intéresser à
la légitimité des activités didactiques dans un musée qui se veut allié
de l’école et au rapport au temps du patrimoine éducatif. Pouvons-nous nous
permettre ici de proposer alors, à la manière d’une lecture, une alternative
sur le « comment peut-on visiter
autrement un musée de l’éducation ».
I – Approche innovante de
la muséographie :
Si la didactique des
disciplines, s’intéressant à la gestion des savoirs[3],
analyse les processus d’enseignement/ apprentissage en classe, la didactique
du patrimoine s’intéresse, quant à elle, au processus de la médiation au
musée (visites guidées, expositions, ateliers d’animation, de jeux
récréatifs, etc…) entre la mémoire éducative (matérielle et immatérielle), dont
le musée est détenteur, et le visiteur (qu’il soit scolaire ou non) en vue de
l’assimilation ou l’appropriation du patrimoine éducatif.
Cette approche implique la
conception de situations-problèmes en vue des légitimations
scientifiques des savoirs patrimoniaux (matériels et immatériels) à diffuser et
à acquérir par les visiteurs. Le rapport au patrimoine éducatif au
musée, lieu de mise en scène de contenus historiques, peut être ainsi revisité,
renouvelé en permanence.
Le présent paradigme
implique un travail sur le développement des représentations du temps
(court, moyen, long, présent, passé et futur) sur le rapport ou la rencontre
de (ou des) identités et de l’altérité et sur les valeurs en
partage pour donner un sens vivant au patrimoine éducatif.
Ainsi, une entrée par
l’épistémologie (rapport à l’histoire, ses fonctions et finalités, à quoi
sert-elle ? …) s’impose en vue d’une gestion des savoirs patrimoniaux en
muséographie, pour dépasser les représentations figées de l’histoire (longtemps
cernée entre dates et événements). Cette approche vise également à cultiver la
curiosité scientifique des jeunes chercheurs, en quête de thématiques de
recherche.
Nous pouvons en fournir
ici un exemple : à l’entrée de ce musée, aux référentiels spatial,
temporel et linguistique en rapport intime avec la Méditerranée[4], se dresse une fresque
géante (voir ci-dessus), comme pour interpeller le visiteur. Elle place l'école
tunisienne dans son contexte civilisationnel. Les alphabets, les savoirs et le
rôle de l'école, en tant que vecteur de diffusion des connaissances, y sont
largement visibles au moyen de plusieurs supports didactiques. L’approche
thématique, génératrice de problématiques, semble ainsi se substituer au
traditionnel linéaire et aux représentations figées.
Un
certain nombre de références épistémologiques au patrimoine éducatif sont
perceptibles au visiteur: Il s'agit notamment de l'œuvre de Fernand Braudel
(1902-1985)[5], de l'influence des idées de
Henri Bergson (1859-1941)[6],
opposant l'intériorité de la durée à l'extériorité de l'espace ou encore de celles
de Paul Ricœur (1913-2005)[7] sur
la continuité et l'intelligibilité du temps. Toutes ces idées ont inspiré cette
expérience muséale et traversent, en
fait, dans la longue durée, aussi bien les institutions traditionnelles du
savoir (telles que les Goutté) et les outils de sa diffusion (le Kalam
et les planches), que les institutions modernes actuelles d'éducation[8] et
leurs supports virtuels (tels que le tableau interactif, l'Internet ou le Web, occupant
l'espace des médias au musée…)
Cette
approche didactique, au Musée de l'Éducation, a bénéficié, il est vrai, des
enseignements et de recherches en Histoire de l'éducation et en didactique de
l'Histoire que nous menons depuis des années, notamment, à l'Institut Supérieur de l'Éducation et de la Formation Continue
ainsi qu'à l'École Normale Supérieure de Tunis.
II – Quelle Temporalité muséographique au Musée de l'Éducation ?
Au
musée de l’éducation à Tunis, le temps n'est ni figé, ni seulement
linéaire. Il est reconstruit entre ses deux pôles négatif et positif (de
l'avant et l'après JC). La périodisation y commence à partir de 1101 av. J.C.,
date de l’apparition de l’alphabet phénicien au Comptoir d’Utique, fondé à
cette époque non loin de ce que sera Carthage. Le visiteur y est amené à faire
un va-et-vient continu dans une temporalité de longue durée au sein d’un espace
didactique interactif. Les contenus, qui y sont exposés, forment des repères
guidant la mémoire collective dans sa quête de réappropriation d'un temps
scolaire, le plus souvent intime, voire assez affectif…
Visiter ce Musée de l'Éducation, c'est faire connaissance
avec un univers accueillant conçu architecturalement pour une muséographie
moderne, agencée dans un espace multifonctionnel à la fois clos et
ouvert. Il s’agit d’un lieu où les sons du patrimoine musical universel,
accompagnant le visiteur dans tous les rayons du Musée, inondés de toute part
par une lumière naturelle, font oublier le temps des horloges, en
intégrant celui du patrimoine éducatif dans sa permanence tranquille. C’est
un lieu qui englobe plusieurs temporalités, dans une aire culturelle
méditerranéenne formant une synthèse de civilisations aux six alphabets que les
1400 kilomètres de côtes méditerranéennes (tunisiennes) ont connus. C’est, en
fait, une vraie Odyssée des cultures qui a inspiré les réflexions
braudeliennes.
L'animation culturelle
au musée, réalisée en atelier le plus souvent, dans un espace aux multiples
médias, lieu d’attraction des excursions scolaires, est l’occasion de
véritables activités didactiques. Celles-ci rendent le visiteur,
particulièrement scolaire, plus réceptif en vue d'apprivoiser la permanence
du temps éducatif, en saisissant ses deux extrémités, faisant du passé
un temps allié du futur et de ses projets innovants.
Visiter
le Musée de l'Éducation, c'est appréhender ou fréquenter autrement le
temps, qu'il soit historique ou présent, voire futur, à travers un
mouvement temporel continu chargé d'émotion; C’est y acquérir une posture
comparative entre le jadis et le présent ainsi qu'à travers les générations et
leurs rapports à l'école et à la vie scolaire. Cette visite dans le temps est
balisée de repères constitués de mille et une choses : du bol de lait chaud
servi (jadis) à l'ouverture des classes, aux plumiers et encriers, aux Cahiers
de Roulement, aux buvards, à "1.300 problèmes", aux "Leçons
de Choses", aux manuels de lecture et aux représentations enfantines
de gravures, etc …
Visiter
le Musée de l'Education, c'est parcourir avec nostalgie des petits
reliefs de la mémoire scolaire et caresser des souvenirs intenses qui
ressurgissent à chaque coin des espaces d'expositions. C'est mettre en relief
diverses représentations de choses scolaires et des rapports plus au
moins affectifs avec ses anciens maîtres et maîtresses d'école. En un mot,
c'est aussi ressusciter un temps chargé de valeurs éducatives où le
maître ou la maîtresse adorée se substituait au père ou à la mère… La
vénération de l'école, de ses éducateurs ainsi que de son savoir
transcende, en fait, le temps vécu dans sa permanence culturelle.
Le
temps scolaire, à travers ses symboles et repères transcrits des six alphabets (voir
fresque ci-dessous) que la Tunisie, héritière de Carthage, a connus depuis
l'époque phénicienne jusqu'aux cursus de l'enseignement traditionnel puis ceux
de l'enseignement moderne, trace ainsi, dans son étendue de tolérance et
de diversité culturelle, la trajectoire balisant la topographie de la mémoire
collective nationale. Ce temps aussi bien scolaire qu’éducatif,
permet d'en découvrir les reliefs, à travers les différents supports
didactiques utilisés jadis et exposés soigneusement aux visiteurs (scolaires et
autres) avec des notices explicatives dans des rayonnages en verre.
Conclusion :
Visiter
ce Musée de l'Education, lieu de ressourcement, de nostalgie mais aussi de rêve, ne constitue
pas seulement une occasion d’immersion
dans les diverses représentations, mais plutôt de contemplation
créative, d'inspiration… Cette visite permet aussi, parallèlement aux cours
d'histoire sur les bancs de l'école qu'elle complète, de favoriser la sensibilité
historienne, voire le développement d'une conscience
citoyenne éclairée, à travers la dialectique : passé /
présent / futur; trois moments, trois temps qui se rejoignent en symphonie dans
chaque réflexion au présent concernant une causalité ou une perspective.
Mots clés : temps scolaire, patrimoine éducatif, didactique
du patrimoine, école tunisienne, Méditerranée, muséographie éducative.
Bibliographie :
* AYACHI Mokhtar,
- Écoles
& Société en Tunisie, Tunis : Centre des Études Économiques &
Sociales, 2003, 474 p.
- Études
d’Histoire culturelle : Histoire de l’éducation & Mouvements de Jeunes en
Tunisie, Tunis : Centre des Publications Universitaires, 436 p.
- Aux origines de l’école tunisienne: une synthèse de 32
siècles d’écritures (alphabets), de savoirs et d’enseignement, Tunis: CPU, 2012, 450 p. (en
langue arabe).
- (sous direction de) Circulation des
Savoirs & Institutions d’enseignement dans l’espace arabo-méditerranéen,
Actes du colloque international, Tunis : Publication de la Faculté des
Lettres, des Arts & des Humanités, (sous presse) 2017, 380 p.
* BERGSON Henri, Durée et Simultanéité: à propos de
la théorie
d’Einstein, Paris: PUF,
1968, 7ème édition, 216 p.
*
BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de
Philippe II, Paris : A. Colin, 1949, 1160 p.
* DURPAIRE François, Enseignement de l’histoire et diversité culturelle: "nos ancêtres ne sont pas les Gaulois", CNDP, 2002.
* MONIOT Henri, Didactique de
l’Histoire, Paris : Nathan, 1993, 254 p.
* RICOEUR Paul, Temps et Récit,
T. III : Le temps raconté, Paris : Seuil, 1985.
* SRAÏEB Noureddine,
- Colonisation, décolonisation
et enseignement: l’exemple tunisien, Tunis : CNRS et Institut National des Sciences de
l’Education, 1974, 350 p.
- « L’idéologie
de l’école en Tunisie
coloniale (1881-1945) », Revue du Monde muscleman et de la Méditerranée, Aix-en
Provence, 1993, n°1, vol. 68, pp. 239-254.
Bibliographie :
[1] Par Mokhtar
AYACHI, Professeur des Universités en Histoire de l’éducation et en didactique
de l’histoire, Université de Tunis, membre du Conseil scientifique du Munaé.
[4] Cf. AYACHI Mokhtar, Aux
origines de l’école tunisienne: une synthèse de 32 siècles d’écritures
(alphabets), de savoirs et d’enseignement, Tunis: CPU, 2012, 450 p. (en langue
arabe).
[5] BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde
méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris : A. Colin, 1949, 1160 p.
[6] BERGSON Henri, Durée et Simultanéité: a propos de la théorie d’Einstein, Paris: PUF,
1968, 7ème édition, 216 p.
- Écoles & Société en Tunisie, Tunis :
Centre des Études Économiques & Sociales, 2003, 474 p.
- Études d’Histoire culturelle : Histoire de l’éducation
& Mouvements de Jeunes en Tunisie, Tunis : Centre des Publications
Universitaires, 436 p.