dimanche 6 mai 2018

LE MUSÉE NATIONAL DE L’ÉDUCATION À TUNIS

LE MUSÉE NATIONAL DE L’ÉDUCATION À TUNIS:

APPROCHE DIDACTIQUE DU PATRIMOINE ÉDUCATIF

Mokhtar AYACHI, professeur des universités en histoire de l’éducation et en didactique de l’histoire, université de Tunis, membre du Conseil scientifique du Munaé


INTRODUCTION

    Le Musée national de l’Éducation situé à Tunis a été créé par le décret daté du 10 septembre 2001 1, au sein du Centre national d’innovation pédagogique et de recherches en éducation (CNIPRE, l’équivalent de l’INRP français). Son site architectural est conçu dans un espace muséal disposant de commodités (sonori- sation, multimédias, salles d’exposition, etc.) alliant la modernité au patrimoine national. C’est par ailleurs le seul musée en Tunisie qui n’est pas logé dans les murs d’un ancien palais.



    La mise en place des équipements et la collecte des ressources du patrimoine éducatif auprès des écoles publiques ont débuté en 2003, cinq ans avant l’ouver- ture officielle (4 novembre 2008), à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de la création du système éducatif tunisien.

Quant à l’organisation du musée, elle s’est faite autour de trois unités :
- unité muséographique (exposition et entretien des collections) ;
- unité animation culturelle (accueil des visiteurs excursions scolaires, visites guidées, ateliers…) ;
- unité de recherche en histoire de l’éducation (accueil et orientation des chercheurs, expositions documentaires, production de recherches…).

    L’approche muséographique suivie dans ce musée accorde une place primordiale à la didactique du patrimoine éducatif. Nous allons donc nous inté- resser à la légitimité des activités didactiques dans un musée qui se veut une institution culturelle alliée de l’école, et au rapport au temps du patrimoine éducatif. Comment peut-on visiter autrement un musée de l’éducation ?

                       
                                                                                                  Vue de l’espace d’exposition à l’entrée du musée.

Le Musée national de l’éducation de Tunis propose cette alternative.
APPROCHE INNOVANTE DE LA MUSÉOGRAPHIE

    Si la didactique des disciplines s’intéressant à la gestion des savoirs 2 analyse les processus d’enseigne- ment et d’apprentissage en classe, la didactique du patrimoine s’intéresse, elle, au processus de média- tion dans les musées (visites guidées ; expositions ; ateliers d’animation, de jeux  récréatifs,  etc.),  entre la mémoire éducative (matérielle et immatérielle), dont le musée est détenteur, et le visiteur (qu’il soit scolaire ou non) dans l’optique de l’assimiler ou de se l’approprier.
                                                                                                                                                                                                                                                                                               
1Cf. Journal officiel tunisien (JORT).                                                                                                                    2H. Moniot, Didactique de l’Histoire, Paris, Nathan, 1993.

PREMIÈRE RENCONTRE FRANCOPHONE DES MUSÉES DE L’ÉCOLE : ACTES

                    
                                                     Fresque reproduisant les six alphabets méditerranéens que la Tunisie a connus durant son histoire.

     Cette approche implique la conception de situations- problèmes en vue des légitimations scientifiques des savoirs patrimoniaux (matériels et immatériels) à diffuser et à acquérir par les visiteurs. Le rapport au patrimoine éducatif de musées, lieux de mises en scène de contenus historiques, peut être ainsi revisité et renouvelé en permanence.

   Le présent paradigme implique un travail sur le développement des représentations du temps (court, moyen et long ; présent, passé et futur), sur le rapport ou la rencontre des identités et de l’altérité, et sur les valeurs en partage pour donner un sens vivant au patrimoine éducatif.

    Ainsi, une entrée par l’épistémologie (rapport à l’histoire, ses fonctions et finalités, à quoi elle sert, etc.) s’impose pour gérer les savoirs patrimoniaux en muséographie et pour dépasser les représentations figées de l’histoire (longtemps cernée entre dates et événements). Cette approche vise également à cultiver la curiosité scientifique des jeunes chercheurs, en quête de thématiques de recherche.

    Nous pouvons en fournir ici un exemple : à l’entrée de ce musée, aux référentiels spatial, temporel et linguistique en rapport intime avec la Méditerranée 3, se dresse une fresque géante, comme pour inter- peller le visiteur. Elle place l’école tunisienne dans son contexte civilisationnel. Les alphabets, les savoirs et le rôle de l’école, en tant que vecteurs de diffusion des connaissances, y sont largement visibles au moyen de plusieurs supports didactiques. L’approche thématique, génératrice de problématiques, semble se substituer au traditionnel linéaire et aux représentations figées.

Un certain nombre de références épistémologiques au patrimoine éducatif sont perceptibles : il s’agit notam- ment de l’œuvre de Fernand Braudel 4, de l’influence


3               Cf. M. Ayachi, Aux origines de l’école tunisienne. Une synthèse de 32 siècles d’écritures (alphabets), de savoirs et d’enseignement, Tunis, CPU, 2012 (en langue arabe).
4               F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, A. Colin, 1949.


MUSÉES DE L’ÉCOLE D’EUROPE ET DU MAGHREB EXPÉRIENCES CROISÉES                                                                                                                                                                            

des idées d’Henri Bergson 5 (opposant l’intériorité de la durée à l’extériorité de l’espace), ou encore de celles de Paul Ricœur 6 sur la continuité et l’intelligibilité du temps. Toutes ces idées ont inspiré cette expérience muséale et traversent aussi bien les institutions tradi- tionnelles du savoir (telles que les Goutté) et les outils de sa diffusion (le Kalam et les planches), que les institutions modernes actuelles d’éducation7 et leurs supports virtuels (tels que le tableau interactif ou le web, qui occupent l’espace des médias au musée).

    Cette approche didactique au Musée de l’Éducation a bénéficié, il est vrai, des enseignements et de recherches en histoire de l’éducation et en didactique de l’histoire que nous menons depuis des années, notamment à l’Institut supérieur de l’éducation et de la formation continue, ainsi qu’à l’École normale supérieure de Tunis.

QUELLE TEMPORALITÉ MUSÉOGRAPHIQUE ?

    Au Musée national de l’éducation à Tunis, le temps n’est ni figé, ni seulement linéaire. Il est reconstruit entre ses deux pôles négatif et positif (de l’avant et l’après J.-C.). La périodisation commence à partir de 1101 av. J.-C. (date de l’apparition de l’alphabet phéni- cien au Comptoir d’Utique, fondé à cette époque non loin de ce que deviendra Carthage). Le visiteur est amené à faire un va-et-vient continu dans une tempo- ralité de longue durée au sein d’un espace didactique interactif. Les contenus exposés forment des repères guidant la mémoire collective dans une quête de réappropriation d’un temps scolaire, le plus souvent intime, voire affectif.

    Visiter ce musée, c’est faire connaissance avec un univers accueillant conçu architecturalement pour une muséographie moderne, agencée dans un espace multifonctionnel à la fois clos et ouvert. Dans ce lieu, les sons du patrimoine musical universel accompagnent le visiteur dans tous les rayons éclairés par la lumière naturelle, et le plongent dans un autre temps : celui du patrimoine éducatif dans son immuabilité baignant dans une aire culturelle méditerranéenne formant une synthèse de civilisations aux six alpha- bets que les 1 400 kilomètres de côtes (tunisiennes) ont connus. Une vraie odyssée des cultures qui a inspiré les réflexions « braudeliennes ».


3                                             H. Bergson, Durée et Simultanéité. À propos de la théorie d’Einstein, Paris, PUF, 1968 (7e édition).
4                                             P. Ricœur, Temps et Récit, T. III : Le Temps raconté, Paris, Éditions du Seuil, 1985.
5                                             Cf. M. Ayachi, Écoles et Société en Tunisie, Tunis, Centre des études économiques et sociales, 2003 ; et Études d’Histoire culturelle. Histoire de l’éducation et mouvements de jeunes en Tunisie, Tunis, Centre des publications universitaires.

                                                                                                                           Reconstitution d’une salle de classe.

    L’animation culturelle, réalisée le plus souvent en ateliers, dans un espace doté de multiples médias, est l’occasion de véritables activités didactiques. Le public, particulièrement scolaire, en est d’autant plus réceptif, et apprivoise ainsi mieux la permanence du temps éducatif, en saisissant ses deux extrémités (le passé devient un temps allié du futur et de ses projets innovants).

    Ce musée permet d’appréhender ou de fréquenter autrement le temps, qu’il soit historique ou présent (voire futur), à travers un mouvement temporel continu chargé d’émotion ; on y acquiert une posture comparative entre jadis et aujourd’hui, ainsi qu’à travers les générations et leurs rapports à l’école et à la vie scolaire. Cette visite dans le temps est balisée de repères constitués de mille et une choses : du bol de lait chaud servi (jadis) à l’ouverture des classes, aux plumiers et encriers, aux cahiers de roulement, aux buvards, à « 1 300 problèmes », aux « leçons de choses », aux manuels de lecture et aux représenta- tions enfantines de gravures.

PREMIÈRE RENCONTRE FRANCOPHONE DES MUSÉES DE L’ÉCOLE ACTES

     En visitant ce musée, on parcourt avec nostalgie des petits reliefs de la mémoire scolaire et on caresse des souvenirs intenses qui ressurgissent à chaque coin des espaces d’exposition. Le musée met par ailleurs
en relief diverses représentations de choses scolaires et des rapports plus ou moins affectifs avec nos anciens maîtres et maîtresses d’école. En un mot, visiter ce musée, c’est ressusciter un temps chargé de valeurs éducatives,  le maître ou la maîtresse adorée se subs-tituait au père ou à la mère. La vénération de l’école, de ses éducateurs ainsi que de son savoir transcende le temps vécu dans sa permanence culturelle.


    Le temps scolaire, à travers ses symboles et repères transcrits des six alphabets que la Tunisie a connus depuis l’époque phénicienne jusqu’aux cursus de l’enseignement traditionnel puis ceux de l’enseigne- ment moderne, trace ainsi, dans son étendue de tolérance et de diversité culturelle, la trajectoire balisant la topographie de la mémoire collective nationale. Ce temps aussi bien scolaire qu’éducatif permet d’en découvrir les reliefs à travers les différents supports didactiques utilisés jadis et exposés soigneusement avec notices explicatives.


                                                                                                           Rayon d’exposition permanente de supports didactiques


CONCLUSION

    Visiter le Musée national de l’Éducation à Tunis, lieu de ressourcement, de nostalgie, mais aussi de rêve, ne constitue pas seulement une occasion d’immer- sion dans les diverses représentations, mais plutôt de contemplation créative, d’inspiration… Cette visite permet aussi, parallèlement aux cours d’his- toire qu’elle complète, de favoriser la sensibilité historienne, voire le développement d’une conscience citoyenne éclairée, à travers la dialectique : passé/ présent/futur, trois moments, trois temps qui se rejoignent en symphonie dans chaque réflexion concernant une causalité ou une perspective.

POUR ALLER PLUS LOIN

  M. Ayachi :
-  Écoles et Société en Tunisie, Tunis, Centre des Études Économiques & Sociales, 2003.
-  Études d’Histoire culturelle. Histoire de l’éducation et mouvements de jeunes en Tunisie, Tunis, Centre des publications universitaires, 2015,
-  Aux origines de l’école tunisienne. Une synthèse de 32 siècles d’écritures (alphabets), de  savoirs  et d’enseignement, Tunis, CPU, 2012 (en langue arabe).
-  (dir.) Circulation des savoirs et institutions d’ensei- gnement dans l’espace arabo-méditerranéen, actes du colloque international, Tunis, publication de la faculté des lettres, des arts et des huma- nités, 2017.
  H. Bergson, Durée et Simultanéité. À propos de la théorie d’Einstein, Paris, PUF, 1968 (7e édition).
  F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerra- néen à l’époque de Philippe II, Paris, A. Colin, 1949.
  F. Durpaire, Enseignement de l’histoire et diversité culturelle : « nos ancêtres ne sont pas les Gaulois », CNDP, 2002.
  H. Moniot, Didactique de l’Histoire, Paris, Nathan, 1993.
  P. Ricœur, Temps et Récit, T. III : Le Temps raconté, Paris, Éditions du Seuil, 1985.
  Noureddine Sraïeb :
-  Colonisation, décolonisation et enseignement. L’exemple tunisien, Tunis, CNRS et Institut national des sciences de l’éducation, 1974.
« L’idéologie de l’école en Tunisie coloniale (1881-1945) », Revue du Monde musulman et de la Méditerranée, Aix-en Provence, n° 1, vol. 68, 1993, p. 239-254.

samedi 17 mars 2018


L’ingénierie du système éducatif tunisien :
Quel diagnostic pour quelle école ? [1]



Introduction

            Les forums du genre de celui que nous organisons aujourd’hui se sont multipliés ces dernières années, marquées par l’instabilité politique en Tunisie où le département de l’Education a connu la succession de pas moins de sept ministres, en l’espace de six années et demie. Des rencontres et autres réunions d’experts de choses scolaires débattent souvent de « réformes du système éducatif ». Le dernier forum, en date, sur le thème « changer d’école, changer de société ou comment réinventer l’école de la République ? » est celui organisé le 24 février[2] dernier par trois partenaires : le Forum de l’Académie politique, le Cercle de réflexion « Khair-Eddine » et la Fondation Konrad Adenauer.

            On accourt au chevet d’une « école en détresse », une école qui était la fierté de la République de l’Indépendance ; une école qui a jeté les jalons du projet de société de la Tunisie moderne, forgé  des décennies durant dans le terreau du mouvement réformiste, puis du mouvement de libération nationale.

            Mon intention ici n’est pas de répéter ce qui a été fait et dit, mais plutôt d’essayer de poser de vraies questions au sujet du devenir de l’école publique. Il ne s’agit pas non plus de proposer des solutions toutes prêtes ou des recommandations qui peuvent être laissées... aux prédicateurs spécialistes des prêches.
           
Pour ce faire, mon propos privilégie ici trois axes, à savoir :
1 – les carences du système éducatif : synopsis historique
2 – l’école tunisienne au miroir des évaluations internationales : quel gâchis de l’effort    national ?
3 – de légitimes interrogations, en quête de réponses.

Comme toute thérapie nécessite au préalable un diagnostic, faut-il donc dresser rapidement un état des lieux de la situation où a été entrainé le système éducatif national, fleuron de la Tunisie indépendante ?

I – Synopsis historique des carences du système éducatif national

En effet, l’âge d’or de ce système, créé par la loi du 4 novembre 1958, se situait au cours de sa première décennie de l’édification nationale, sous les auspices du ministre et syndicaliste Mahmoud Messaâdi. Le plan décennal de développement économique et social de 1959/1969 qui concernait également l’éducation nationale, couronnait ce projet de société où « l’école providence », vraie croyance populaire, jouait pleinement son rôle d’ascenseur social, générateur de mutations[3].

Avec la décennie Nouira/Mohamed Mzali des années 70 et la crise de l’université, ce qui est convenu d’appeler la « descente aux enfers » a bien commencé. L’institution de l’éducation a végété durant près de 33 ans, le temps d’une génération entière, hors du cadre de textes législatifs fondateurs. Il faut attendre le deuxième texte de 1991, avec le ministère Mohamed Charfi. Entre temps, ce n’étaient que des circulaires administratives qui  régissaient le fonctionnement du système d'enseignement, hors de tout projet national éducatif.

Au cours de cette période où le système éducatif est demeuré figé, hors du cadre temporel, l’on imagine aisément l’ampleur de la tâche qui a incombé aux équipes de Mohamed Charfi, au niveau des contenus dispensés notamment et des méthodes d’enseignement. La décennie suivante est caractérisée par les discours d’ « autosatisfaction » du régime politique, en censurant les résultats de l’école tunisienne aux évaluations internationales. A une question d’un conseiller du ministre sur la possibilité de publication de ces résultats (TIMS et PISA), le ministre de l’éducation à l’époque (2005/2007) a rétorqué « mais vous êtes fous, n’oubliez pas que je suis sur un siège éjectable ! »

Après 2011, la situation du système éducatif n’a fait qu’empirer avec la valse de ministres de l’éducation, constamment sous tension. Le dernier en date, Hatem Ben Salem, déclarait dans une interview télévisée, le 4 mars 2018, à la chaine nationale[4], entre autre, que «(…) le ministère face à la gestion quotidienne des problèmes matériels de toute sorte, au corporatisme à outrance des mouvements sociaux, à la multiplication de la délinquance dans le milieu scolaire (16.000 cas de violence recensés en 2017 (à raison d’une moyenne de 2.000 par mois) ne peut se concentrer facilement sur les dossiers pédagogiques de la réforme éducative »… L’accumulation des retards est ainsi manifeste à tous les niveaux.

II – l’école tunisienne au miroir des évaluations internationales : quel gâchis de l’effort  national ?

Alors que d’importantes parts de budgets dévolus au secteur de l’éducation vont aux avantages salariaux (97%), au lieu de profiter aux écoliers et à l’infrastructure scolaire (3%) et que des promotions des personnels enseignants, sans concours, sont destinées à doper les salaires et autres avantages matériels, les résultats, au niveau de l’éducation nationale, ne peuvent être qu’affligeants.

La dualité « corporatisme/butin » la dispute souvent à toute logique du service public et des valeurs citoyennes. Le corps enseignant affiche, pour sa part, un taux d’absentéisme aussi élevé que celui des élèves. Et le fait d’obtenir des diplômes ne signifie plus, désormais, un apprentissage en conséquence.

Sans répéter ici les travaux de Chédia Mhirsi[5], ancienne directrice de l’Evaluation et l’Innovation Pédagogique au CNIPRE, sur les résultats des évaluations internationales TIMMS et PISA et sans reproduire également ceux de Farouk Ben Ammar[6], ancien conseiller au Cabinet du Ministère de l’Education nationale, sur le diagnostic du système éducatif en 2015, je citerais ici quelques indicateurs fournis par ces deux experts. En effet, outre l’avantage de l’égalité des sexes devant l’éducation ainsi que l’égalité sociale, la Tunisie figure, d’après les publications de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) en décembre 2016, parmi les cinq derniers des 70 pays enquêtés au Programme International pour le Suivi des Acquisitions (PISA) testant les performances des systèmes scolaires du monde entier en lecture, mathématiques et sciences.

Par ailleurs, Farouk Ben Ammar énumère, dans une étude publiée sur le web [7], en date du 4 février 2015, nombre de projets « innovants » initiés au cours des dernières décennies, mais jamais achevés. L’ampleur du gâchis est telle que l’on se demande si la « descente aux enfers » n’a pas été bien préméditée depuis quelques décennies. En effet, parmi les projets abandonnés avant terme, l’on peut retenir, à titre indicatif :
-    L’Approche par Compétence,
-  L’utilisation de TICE pour l’enseignement et l’apprentissage (laboratoires d’informatique qui ne fonctionnent pas depuis longtemps, faute d’entretien…),
Les tableaux interactifs, acquis entre 2.000 et 4.000 dinars l’unité, puis utilisés comme tableaux ordinaires à feutre…,
-  Les CD-Rom interactifs, acquis avec des logiciels et autres bases de données par le ministère au moyen de coûts de plusieurs milliards (sous forme de marchés accordés aux proches du régime de l’époque…) mais que les élèves ne sont pas à même d’utiliser réellement, car la majorité d’entre eux ne disposent pas de PC,
- Les paraboles et bus-internet qui rouillent actuellement dans le parc du ministère, tout comme bon nombre de bus, faute d’entretien…et qui n’auront pas été amortis,
- Numérisation des cours avec acquisition du dispositif informatique… Ce sont autant d’investissements importants, fait dans des projets malheureusement avortés…

Par l’absence totale de suivi de projets onéreux pour le contribuable, par le manque d’innovation pédagogique, par la non ouverture réelle sur les didactiques des disciplines, par l’absence de mise à niveau des cursus scolaires et surtout de la formation des personnels enseignants, recrutés sans profil pédagogique et didactique (notamment ceux qu'on a injectés par la "grâce juridique") et allant, pour d'autres, jusqu’à la refuser[8] l’on a fait qu’accumuler les facteurs responsables de l’incompétence d’une frange importante du corps enseignant en place. Celui-ci est responsable directement du faible, voire médiocre rendement de l’institution éducative.

A ce propos, d’après le témoignage du ministre de l’éducation cité, en 2017, au concours des Collèges Pilotes (9ème), 14.000 élèves ont obtenu la note de zéro sur vingt (0/20) en mathématiques, ajoutés aux 12.000 zéros obtenus en langues étrangères à l’examen du Baccalauréat (7.000 en français et 5.000 en anglais), sans parler encore des scores obtenus au CAPES dans certaines spécialités, comme la langue et civilisation arabe, l'histoire et géographie et les sciences physiques où on est descendu, pour pourvoir les classes en enseignants, respectivement, jusqu'aux notes de : 05,44 /20,  05/20 et  04,73/20. Il faut relativiser, tout de même, pour le niveau général, car de meilleures notes sont obtenues par certains outsiders, entre 17 et 18/20, observées dans des filières comme l'anglais, les mathématiques ou le français, entre autre... 

III – De légitimes interrogations en quête de réponses

La massification de l’enseignement, entamée au début des années 1990 et résultant de la suppression de l’examen du 6ème, à partir de 1994, du 9ème, à partir de 1996 et introduisant les 25% du contrôle continu dans le calcul des notes au Baccalauréat, à partir de 1997, a entraîné une baisse systématique dans le niveau des élèves. La qualité de la formation s’est fait ressentir également au niveau de l’enseignement supérieur où le système du LMD, générant une sorte de passage automatique, n’a fait que gonfler les effectifs des étudiants du supérieur. Et l’on se targuait à l’époque, dans les discours des officiels, d’atteindre dans les courts délais, les chiffres des 500.000 étudiants.

Pour couronner le tout, la suppression du Doctorat d’Etat et son remplacement par le dossier du HDR, à partir de l’an 2000, n’a pas également amélioré le niveau académique des enseignants-chercheurs dont nombreux sont plus préoccupés d’avancements dans la carrière que d’innovation dans leurs cours. D’ailleurs, le caractère scolastique de ces cours, le plus souvent dictés et mémorisés dans un esprit dogmatique, ne fait que corroborer la faiblesse constatée du niveau de formation des futurs enseignants qui vont exercer dans les collèges et lycées…

La pédagogie ou l’andragogie et la didactique des disciplines, hors des départements spécialisés (à l’ISEFC, notamment, ou encore au département des Sciences de l’Education à la Faculté des Sciences Humaines & Sociales) sont considérées comme des « hérésies ». D’ailleurs, les enseignants universitaires sont évalués dans leurs carrières à partir de leurs recherches et non de la qualité de leurs cours, où nombreux ne s’investissent que rarement, en l’absence d’un service de contrôle et d’inspection.

Et comme les moyens ne garantissent pas toujours la fin, l’on constate que le financement de l’éducation en Tunisie, avec 6% du PIB, place le pays dans une position confortable entre la Finlande et ceux de l’OCDE[9]. L'on peut nous demander alors comment dans un pays classé 5ème dans le monde où les jeunes passent le plus de temps à l’école et en dehors d’elle à apprendre, arrive-t-on à des résultats aussi catastrophiques pour l’institution éducative ?

En fait, ce que nous constatons est l’illustration d’une scolarité de bourrage de crâne destinant à un hypothétique emploi, au lieu d’être celle d’une préparation à la vie d’une jeunesse plutôt désorientée, vulnérable devant les aléas de la culture de consommation avec ses médias et ses gadgets électroniques. Devant ce constat, le système éducatif a-t-il ainsi cessé d’être un facteur de développement ? Faut-il travailler, comme l’a souligné Hammadi Ben Jaballah au Forum cité de février dernier[10], sur une véritable renaissance de l’école et pas simplement sur une réforme et reconnaître que la crise de l’école est à la fois une crise de la famille, de la société et de l’Etat ?

Mais ceci peut-il se concevoir sans la réhabilitation de l’éducateur dans ses nobles fonctions sociales, car n’est-il pas le pivot du système éducatif tout entier ? Pour cela, faut-il d’abord concevoir une politique éducative claire, explicite, définissant le genre de l’école publique voulue par la société : une école comme moyen de promotion ou d’ascension socio-économique, de mobilité ou une école au service de la reproduction des inégalités sociales ?

En tout cas, un ministère d’Education nationale ne peut être considéré comme un dépotoir de pléthores d’agents pour résoudre le problème de l’emploi dans le pays. D’après des chiffres fournis par le ministre de l’éducation lui-même[11], il y a actuellement 220.000 agents pour 2.200.000 élèves, c’est-à-dire un agent pour 10 élèves. Pire encore, dans un collège à Thala, cette proportion est d’un agent pour 3 élèves seulement (190 agents pour 600 collégiens).

Parler de « réforme du système éducatif » dans un tel contexte, n’est-il pas devenu, malheureusement,  de l’usage de « stéréotypes politiques » plutôt inappropriés dans de telles rencontres scientifiques ?



[1] Ayachi Mokhtar, « Education & Citoyenneté : quelle politique dans le domaine de la formation », Journée d’études à l’ISEFC, 14-15 mars 2018.
[2] Cf La Presse du 26 février 2018
[3] Ayachi Mokhtar, Ecole & Société en Tunisie (1930-1958), Tunis, 2002, 450p.
[4] Reproduite le lendemain par le quotidien La Presse du 6 mars 2018, art. « En attendant la réforme du système éducatif ».
[5] Mhirsi-Belaïd Chadia, blog sur l’Education dans les pays du Sud, « l’école tunisienne apprend-elle encore à lire ? » (13 mars 2015), « Analyse diagnostique du système éducatif tunisien : les défis à relever » (janvier 2015), 27 p. « Sciences et technologies dans les réformes des systèmes éducatifs : quelles innovations pour demain ? », Tunis : Académie Beït El Hikma (7-21 octobre 2014), etc…
[6] Ben Ammar Farouk, Diagnostic du système éducatif, in  WWW.edupronet.com/tunisie-bref-diagnostic-système éducatif (consulté le 10 mars 2018)
[7] idem
[8] Allusion à la « grève de la faim » observée par les candidats admis en cycle de formation du Mastère Professionnel, réclamant salaire intégral (avant formation et avant réussite) avec réduction de leur stage à 9 mois... Cf. La Presse du 26 février 2018.
[9]  Ben Ammar Farouk, op. cit.
[10] Cf La Presse du 26 février 2018, op. cit.
[11] Cf La Presse du 6 mars 2018.

lundi 5 mars 2018

مرحبا بكم
تعتزم جمعيتنا تنظيم يوم دراسي حول "واقع تدريس مادة التاريخ بالمدرسة التونسية" بالاشتراك مع مدرسة الدكتورا بمعهد التربية والتكوين المستمر ومع المركز الدولي لتكوين المكونين(
CIFFIP, ancien CENAFFE) بقرطاج وذلك يوم الجمعة 23 مارس 2018 ابتداء من الساعة التاسعة صباحا. فمرحبا بكم ضيوفا ومشاركين. مختار العياشي رئيس الجمعية.


samedi 30 septembre 2017

Compte-rendu de soutenance de mémoire
 de Mastère de recherche en Didactique de l’histoire
______________


Sujet : L’enseignement de l’histoire & la conscience historique des collégiens en Tunisie

Candidat : Mabrouk Arfaoui
Directeur de recherche : Pr Mokhtar Ayachi
Lieu : Institut Sup. de l’Education & de la Formation Continue (Univ. Virtuelle de Tunis)
Date : 28 Septembre 2017
Mention : Très bien 

            Ce mémoire, traitant du rapport de l’enseignement de l’histoire avec la formation ou l’acquisition de la conscience historique par les élèves au niveau du collège (en Tunisie), comprend trois parties, en un volume de 175 p :

- la première est réservée à l’état des lieux de la question de l’enseignement-apprentissage de l’enseignement de l’histoire au collège et à son rapport relatif avec l’acquisition de la conscience historique chez les jeunes apprenants,

- la seconde est consacrée à la visite du savoir savant traitant de ce paradigme des finalités de l’enseignement-apprentissage au delà de la question de l’appropriation du savoir historique. L’état du savoir de référence devait servir de modèle pour guider la réflexion sur une thématique qui n’a pas fini d’intriguer les chercheurs en didactique de l’histoire.

- Enfin la troisième partie traite du cadre empirique de la recherche formé non seulement d’enquête menée auprès d’enseignants et d’élèves de deux régions différentes (intérieur du pays et une région côtière), mais aussi d’observations de classes menées par le candidat auprès de ses collègues.

            Une bibliographie (et notamment la wébographie) est bien fournie en travaux académiques récents. Une trentaine de divers tableaux ainsi qu’une dizaine de graphiques et autres schémas soutiennent l’analyse et argumentent la réflexion. Plusieurs documents officiels et autres relatifs aux enquêtes de terrain, viennent compléter le corpus de la présente recherche.

Quelle est tout d’abord la problématique avancée dans ce travail ?
Il s’agit ici de la question de la conscience historique impliquant deux partenaires du processus enseignement/apprentissage : l’enseignant et l’élève du collège. Quelle compétence à articuler les trois temps : passé, présent et futur au niveau de la gestion du savoir historique ? Y a-t-il une finalité explicite ou même implicite ?

Cette question cruciale a été d’ailleurs soulevée par l’inspecteur d’enseignement primaire Ahmed Sfar dès 1955 dans une réflexion publiée alors dans la revue « المربّي »  dont voici un extrait, à titre indicatif :
       ..."لا بدّ من إظهار ما في تعليم التّاريخ بالأساليب العتيقة من الأضرار والأخطار،  فهو معاكس للأهداف التّربويّة... فلنتساءل ماذا يتبقى بعد الانتهاء من الدراسة ممّا هو تاريخي بأتمّ معنى الكلمة، فهل نجد في حافظة التّلميذ فكرة جليّة حول الحوادث الماضيّة ؟ وهل تكوّن فيهم ... ما يمكن أن نسمّيه بالحاسّة التاريخيّة ؟

          إن التّاريخ التّقليدي قد نشأ وتكوّن من أنباء الجبابرة والرجال العظام، ومن سرد الحوادث المتتابعة والأخبار اليومية... أمّا الشعب، فهو لا يظهر في كلّ ذلك إلاّ من بعيد ... ومع ذلك، فان الشّعب وجد وعاش... وهو من أوّل الدنيا الحافظ للحضارة والمؤتمن عليها بل هو الذي أنشأ التمدّن... وهو الذي نمّى الحضارة وقوّاها... فهو مادة التاريخ الحقيقي... فكيف نرضى بتاريخ لا مادة فيه ولا روح ولا حياة ؟"
Cette pensée rappelle aussi celle de François Rabelais soulignant dans son œuvre Pantagruel, au 16ème siècle, que « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » !

            Le candidat nous livre ici une réflexion digne d’un grand intérêt, malgré le fait qu’il s’agit de son premier essai de recherche. La première phrase de l’introduction est très éloquente : »Pour que l’histoire réponde à ses fonctions épistémologiques, son enseignement ne devrait pas être exclusivement la transmission des connaissances et des informations historiques. Il doit être aussi éducatif, consolidant la conscience de l’identité, l’ouverture sur l’altérité en partageant les valeurs universelles communes.

            La conscience historique se présente comme une démarche intellectuelle nécessaire à l’assimilation de l’histoire et une compétence à savoir conjuguer les trois temps ; ce qui ne manque pas d’influer sur le comportement des élèves, en tant que futurs citoyens.

        C’est le rapport au temps et aux savoirs, du côté enseignants d’histoire au collège ainsi que le degré d’assimilation chez les élèves, que ce travail cible en avançant les justifications d’un tel choix de sujet. En effet, légitimant sa recherche à l’aide d’une bonne démarche méthodologique, le candidat met en relation les trois moments suivants :

Observation : à l’origine de ce travail, souligne-t-il, nous avons exprimé une inquiétude devant la faiblesse du niveau de la conscience historique chez les collégiens…
- Constatation : nous avons manifesté notre étonnement devant certains indices à l’effet que les habiletés liées à la conscience historique étaient peu maîtrisées par les élèves, contrairement aux finalités déclarées dans les textes officiels ;
- Déduction (ou aboutissement) : Mise en cause de la crédibilité même de l’enseignement de l’histoire »…

            Les considérations insistent sur l’importance de la conscience historique dans l’enseignement de l’histoire, telle que définie par les textes de la réforme de 2002 ainsi que par les programmes d’histoire publiés en 2006. Les programmes officiels sont très explicites en spécifiant dans leur premier paragraphe que « la discipline de l’histoire contribue à la formation des apprenants en leur enseignant le passé, pour comprendre le présent et prévoir l’avenir et en leur apprenant les valeurs humaines et la citoyenneté active ». il s’agit donc de tout un projet civique et intellectuel.

         Mais les enseignants sont-ils au fait de ces finalités didactiques ? Certainement pas, puisqu’il est toujours question, avec les inspecteurs, de « lourdeurs de programmes, d’échéances pour les terminer, de contenus à enseigner » en rapport avec un type d’évaluation axé sur la restitution de savoirs…

         Sans s’attarder sur la lecture critique des pratiques traditionnelles ou des coutumes liées à l’enseignement de l’histoire scolaire au collège, le candidat essaye, dans ce travail, de proposer comment construire chez les élèves la conception et l’intelligence du temps historique ; comment maîtriser  la conscience historique à travers l’articulation des trois temps (passé/présent/futur) ?

        Cependant, du type de la pratique enseignante et du degré de compétence dépend l’assimilation ou non du savoir historique. Autrement dit, du type d’enseignement de l’histoire dépend le type de son appropriation. S’agit-il d’une matière à mémoriser ou d’une matière à penser (critique) ? C’est une dialectique, entre deux compétences, qui s’impose : compétence à enseigner et compétence à penser. L’une engage l’autre.

        Les élèves du niveau de collège sont bien aptes, d’après des études psychopédagogiques connues, à saisir les modes de pensée historiques en classe. Tout dépend donc de « nouvelles » coutumes instaurer chez les enseignants.

Cette constatation forme l’une des composantes de l’hypothèse principale avancée par le candidat, selon laquelle « l’enseignement de l’histoire au collège (tel qu’il est pratiqué en Tunisie) est mal adapté pour amener les élèves à acquérir une conscience historique » et un esprit critique les prédestinant à jouer leur rôle de futurs citoyens.

Quels sont donc les objectifs et les attentes déclarés de ce travail ?

D’après le candidat Mabrouk Arfaoui, il s’agit de savoir comment réduire l’écart entre les objectifs explicites mentionnés clairement dans les textes officiels de 2002 et 2006 et les pratiques réelles de classe d’histoire au collège pour améliorer la qualité de formation des élèves. Pour cela, bien connaître le profil de formation des enseignants ainsi que l’effet des interventions didactiques en classe  permettrait d’évaluer le niveau de conscience historique chez les élèves et y agir pour le développer.

Ce travail permettrait ou contribuerait également à amener les enseignants d’histoire à réfléchir sur leurs pratiques de classe et à suivre des stratégies aidant les élèves à développer une conscience historique assimilant les fonctions épistémologiques de l’histoire. Il s’agit aussi de sensibiliser les inspecteurs d’histoire à s’ouvrir davantage sur l’épistémologie de la didactique de la discipline et surtout à accorder l’importance méritée à l’application des textes officiels ainsi que des instructions qui les accompagnent.

Quels sont les résultats auxquels ce travail a abouti ?
Une série de déductions méritent ici de retenir notre attention. Il s’agit des réalités suivantes présentant des carences au niveau du processus de l’enseignement/apprentissage de l’histoire au collège ainsi que de suggestions conduisant à y remédier. Il s’agit des résultats suivants :
1 – la majorité des enseignants ignore l’objet même des Instructions Officielles ainsi que les finalités de l’enseignement de l’histoire (outre l’inculcation d’un savoir à mémoriser). Il y a donc une absence du raisonnement et de la pensée critique.
2 – l’enquête a révélé que l’enseignement de l’histoire, tel qu’il est pratiqué, est inadapté au développement de la conscience historique chez les élèves, parce qu’il n’apprend pas à raisonner.
         3 – la nature des pratiques enseignantes dépend du type de la formation reçue à l’université et hors d’elle (encadrement pédagogique et didactique) et non de l’expérience de classe. En effet, c’est l’épistémologie et la didactique qui permettent  aux élèves d’apprendre à raisonner le savoir et non l’expérience pédagogique en elle-même qui se rapporte à la situation de classe et ne touche pas fondamentalement aux mécanismes de la gestion des connaissances.
         4 – la majorité des enseignants affirment n’avoir jamais reçu une quelconque formation pour appliquer les nouveaux programmes.
       5 – le problème de l’enseignement de l’histoire n’est pas seulement dans « le quoi enseigner », mais surtout dans le « comment enseigner ».
         6 – les résultats obtenus confirment l’urgence de repenser le système d’évaluation centré sur la restitution des savoirs, plutôt que sur le raisonnement et la critique, conformément aux visées des programmes et des Instructions Officielles.

   Ce travail aurait mérité enfin d’avoir pour horizon, la piste de recherche suivante à explorer en thèse : « Didactique de l’histoire & Évaluation des connaissances (au lycée ou collège): quel déterminisme de postures pour l’acquisition d’une conscience historienne ? »




Compte-rendu de soutenance de mémoire
 de Mastère de recherche en Didactique de l’histoire
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Sujet : L’enseignement/apprentissage en histoire au 1er cycle de l’enseignement de Base en Tunisie

Candidat : Mohamed Taïeb
Directeur de recherche : Pr Mokhtar Ayachi
Lieu : Institut Sup. de l’Education & de la Formation Continue (Univ. Virtuelle de Tunis)
Date : 28 Septembre 2017
Mention :Très Bien 

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            Ce mémoire, ayant pour réflexion l’enseignement/apprentissage du savoir historique au niveau de l’enseignement primaire (dans le cadre du « manuel des matières sociales ») et des programmes officiels qui s’y rapportent, comprend trois parties en un volume de 203 p.

       - la première partie est réservée à l’état des lieux de l’enseignement des matières sociales à l’école primaire où il y a un aperçu général sur l’enseignement/apprentissage des matières citées prévu dans les programmes officiels et une analyse à propos de l’écart entre les orientations du programme officiel et la réalité de l’enseignement de l’histoire à l’école primaire.

        - la seconde partie du mémoire est consacrée à l’appréciation des travaux scientifiques antérieurs traitant de l’enseignement de l’histoire à l’école élémentaire ainsi que de la pratique de l’apprentissage de cette matière.

            Enfin, une troisième partie constitue le cadre empirique de la recherche traitant des paramètres de l’enquête de terrain ainsi que de l’analyse et de l’interprétation des résultats. Une bibliographie bien fournie de 7 p. et une vingtaine d’annexes reproduisant des document ayant servi à l’analyse empirique viennent consolider la structure du mémoire.

            Quelle est, en fait, la problématique de ce travail ?
            Le candidat souligne dès le début, en introduisant l’axe central de sa recherche, que « la matière historique étant considérée comme une matière d’importance majeure dans le développement des compétences sociales et civiques, s’est vue accorder une place primordiale dans la nouvelle approche par compétences introduite par la loi d’Orientation de Juillet 2002 relative à la dernière réforme du système scolaire ».

            Autrement dit, le rôle de l’enseignant ne doit plus se limiter à un simple transmetteur de connaissances historiques, mais plutôt devenir l’accompagnateur aidant l’élève, en tant que futur citoyen, à développer ses compétences de base en matière historique. C’est à l’analyse de la réalité de l’enseignement/apprentissage du savoir historique, au niveau du cycle primaire (afin d’évaluer le degré de compétence des élèves à se l’approprier), que cette réflexion est dédiée.

            Justifiant son choix du thème de la recherche, le candidat souligne que l’enseignement de l’histoire est à la base de la socialisation de l’élève et est chargé de finalités civiques qui méritent d’être connues ; or la réalité ou la situation de l’enseignement primaire en histoire est critique, vu la conception des enseignants eux-mêmes ainsi que la place marginale qu’occupe cette matière et dans les cursus scolaires et dans l’emploi du temps.

            La question qui se pose est, en fait, la suivante : voulons-nous réellement former de futurs citoyens ou plutôt reproduire des petits sujets. Les ambitions affichées dans les textes officiels ne sont pas respectées dans la pratique de l’enseignement/apprentissage. Les conditions d’enseignement ainsi que la hiérarchie même accordée à d’autres disciplines au détriment des matières sociales, laissent perplexe l’observateur critique.

            La question de formation du personnel enseignant ainsi que le manque de spécialisation seraient aussi à l’origine des carences relevées par les évaluations internationales « TIMS » du système scolaire national au cours de ces dernières années. En effet, les résultats de ces évaluations auxquelles la Tunisie participait (au niveau de l’enseignement primaire) depuis le début des années 2002/2003 ont classé notre système éducatif national dans les derniers rangs de la quarantaine de pays participants, vu que nos élèves ne sont pas préparés à réfléchir aux contenus qui leur sont soumis.

            La médiocrité des résultats observés pointe du doigt la persistance de la méthode transmissive suivie dans l’enseignement primaire. On n’éveille pas la capacité ou la compétence de réflexion chez l’élève, on le gave de connaissances souvent inutiles dans la vie, de connaissances d’ailleurs non appropriées, parce que non assimilées.

Quant aux objectifs de cette recherche explorant les pratiques en cours d’histoire au niveau de l’enseignement primaire, ils concernent la description et l’analyse des pratiques d’enseignement en focalisant sur la place qu’occupe l’élève dans le processus de reconstruction du savoir historique ainsi que sur la posture des enseignants eux-mêmes dans ce processus.

Les attentes déclarées d’une telle recherche, d’après le candidat lui-même exerçant le métier faisant objet du corpus étudié et du présent paradigme, est d’amener les décideurs au niveau des programmes scolaires à faciliter la tâche des enseignants en explicitant la démarche méthodologique répondant aux objectifs déclarés. Une ouverture des enseignants sur le « b.a.-ba » de l’épistémologie et de la didactique des matières sociales, plus précisément l’histoire, en cours du primaire est indispensable grâce à l’action formative des inspecteurs d’enseignement, en vue de pallier les « oublis » des cursus universitaires.

            Pour mener à bien sa réflexion, le candidat mobilise trois hypothèses principales : les deux premières concernent et le profil de formation des enseignants et leur propre conception de la matière dispensée (qui en découle d’ailleurs). La dernière hypothèse se rapporte au type d’enseignement transmissif de savoirs crus (pratiqué en déconnexion des centres d’intérêts de l’élève) qui ne favoriserait pas l’appropriation des connaissances par les jeunes apprenants et qui compromet leur formation en tant que futurs citoyens.

Au niveau des outils d’analyse, les concepts privilégiés sont les suivants : pratique enseignante, processus enseignement/apprentissage, discipline historique, assimilation des valeurs citoyennes. Une enquête de terrain est également menée pour vérifier le degré de plausibilité ou la relativité des hypothèses énoncées.

            Quelles sont, enfin, les résultats auxquels ce travail a abouti ?

            Les résultats des enquêtes de terrain ont mis en évidence combien les interventions en classe des enseignants sont axées plutôt sur les contenus de l’ordre des savoirs déclaratifs, plutôt qu’elles ne s’intéressent à l’élève lui-même, appelé à mémoriser au lieu de réfléchir. L’écart est grand entre les objectifs déclarés des programmes officiels et la pratique d’enseignement en cours d’histoire. Ceci rappelle, malheureusement, l’adage arabe de « celui qui est dépourvu de quelque chose, ne peut, par conséquent, le communiquer ».

Grâce à l’usage des observations de classes, assurées par le candidat et en plus de la technique des enquêtes, il est apparu clairement que la « centralité de l’élève dans l’opération éducative» (التلميذ محور العملية التربوية), évoquée dans les textes officiels, n’est, en réalité,  que théorique en classe. L’assimilation ou l’appropriation des connaissances historiques est tributaire d’un certain nombre de conditions dont :

- une formation moderne des enseignants, ouverte sur la didactique des disciplines,
- une révision de la hiérarchie (horaires, coefficients, etc) des disciplines enseignées,
- une intégration, dans les activités pédagogiques et dans les manuels, d’habiletés d’ordre de savoir-faire et de savoir être, en plus des savoirs tout court.

            Cette approche du « processus enseignement/apprentissage », au niveau de l’enseignement primaire particulièrement, implique - loin de l’usage du tableau noir et de la copie du cours transcrit ou dicté - la mobilisation de supports modernes numériques, tels que les films ou vidéos, les BD ainsi que la multiplication des sorties hors classes pour visiter des sites historiques, des musées, etc… pour aller, enfin, « à la rencontre de l’histoire. Ce thème, formant le titre d’un ouvrage de la didacticienne d’histoire Nicole Lautier[1] pourrait, d’ailleurs, inspirer le candidat dans ses perspectives de recherche post Mastère.




[1] Lautier Nicole, A la rencontre de l’Histoire, Paris : Presse universitaires de Septentrion, 1997, 244 p.