mercredi 19 juin 2019

Compte-rendu de soutenance de mémoire en didactique de l'histoire


Compte-rendu de soutenance de mémoire en didactique de l'histoire
                                                                                                 Date de soutenance : 12/06/2019
Université Virtuelle de Tunis
Institut Supérieur de l’Education et de la Formation Continue
Candidat : Rahmouni Tarek
Sous la direction du professeur :  Mokhtar Ayachi


Titre du mémoire : Hannibal et El-Kahina : l’ambivalence des héros dans les représentations de l’identité nationale chez les lycéens.
Nombre de pages : 207
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            Il s’agit ici d’une recherche totalisant plus de 200 pages traitant du rapport des lycéens à leur identité commune, à travers deux héros choisis de l’histoire nationale. Deux icônes sont convoquées : Hannibal et El-Kahina.
          C’est l’analyse du processus de l’enseignement-apprentissage du savoir scolaire, ou comment visiter l’histoire scolaire, à travers des symboles tirés des cursus que le candidat nous livre ici avec une originalité, aussi bien en amont qu’en aval du corpus étudié.
            Il faut dire qu’avec les mutations sociales connues en Tunisie au cours de cette décennie, le rapport à l’histoire, ainsi qu’au drapeau national lui-même, ont bien changé. Les repères de l’identité nationales se trouvent également bousculés et sujets d’attraction entre deux forces opposées : le politique et la société civile. C’est un thème socialement vif.
         Les questions idéologiques ressurgissent à chaque contour parce qu’il s’agit d’une relecture de l’histoire nationale, de façon implicite il est vrai, car il n’est pas aisé de bousculer des certitudes plusieurs fois centenaires, notamment lorsqu’il s’agit de question à consonances religieuses avec leurs symboles divers.
           Déjà depuis le réforme du ministre Mohamed Charfi,  des années 90, les cursus scolaires en histoire ont bien remplacé le concept « فتوحات إسلامية » par « انتشار الإسلام ». Mais les résidus stéréotypés des sources arabes de l’histoire nationale, au cours de la période islamique, ne reconnaissent pas réellement les 18 siècles de civilisation écrite depuis l’apparition de l’alphabet phénicien sur les côtes méditerranéennes de l’Ifrikia. La même chose, d’ailleurs est observée par l’oubli conscient dans ces sources des nombreux siècles de la civilisation capsienne et son règne plusieurs fois millénaire sur tout le Maghreb, avant l’arrivée des Carthaginois.
           Les sources arabes, sont presque fermées à la présence de l’Altérité qu’elles occultent volontairement. Elles sont muettes ou le demeurent sur plusieurs siècles après le déclin de Carthage et sa civilisation. Elles ignorent l’autre, l’antéislamique, la « Jahilia » (provenant du mot « jahl » ou ignorance), comme si l’histoire commence avec l’arrivée des Arabes. D’ailleurs, ces sources entretiennent volontairement la confusion entre Arabes et Musulmans, arabisation et islamisation... Les tabous sont ainsi vite installés dans l’historiographie classique arabe, où demeurent encore une confusion totale entre mythe et histoire (voir à ce propos les cursus d’histoire pour enseignement des adultes dans le mémoire de Taher Fayek).
            Dans ce contexte historiographique des sources arabes, où tradition, stéréotypes et autres tabous, ne sont pas encore soumis à la lecture critique et à sa loupe scientifique, les deux poids et deux mesures  historiques demeurent injustement. Ainsi, les 14 siècles de présence arabe en Tunisie ou au Maghreb pèsent plus que les 18 siècles d’histoire écrite depuis la présence des Phéniciens sur les côtes tunisiennes, notamment. Ils vont jusqu’à les occulter totalement.
           Contrairement à la Reine Didon et aux autre icônes de l’histoire carthaginoise, le drame de la Reine des Aurès provient de la volonté des berbères de s’opposer aux envahisseurs de leurs territoires. D’ailleurs, les Puniques ont fait autant face à l’hégémonie des Romains. A ce titre, Hannibal est réhabilité en héros de la fierté nationale, alors qu’El-Kahina est détrônée, parce qu’elle a tenue tête  à Hassen Ibnou Noômane. Ses troupes l’ont même défait, lors de sa première expédition. En tant qu’obstacle à pénétration arabe dans le pays berbère, elle a fut l’objet d’une diabolisation dans les sources arabes. Son titre de Dehya (comme Didon) est devenu même péjoratif jusqu’à nos jours dans le langage populaire. La signification arabe de " دحية " et "دادون" est collée à des personnages qui ne valent rien ! Dehya et Didon, en tant qu’héroïnes de l’histoire de l’Ifriqiya, ne sont pas admises en historiographie arabe, surtout si elles étaient des adversaires et guerrières tenaces, comme El-Kahina qui a eu droit aux attributs d’Infidèle, Kafra ou mécréante.  Son règne est décrit comme un âge obscur caractérisé par le désordre et l’injustice. Sa fin signifie, dans ces sources, notamment celles d’El-Wekidi, la restauration de la loi divine !
         C’est l’histoire vue du coté des conquérants qui censurent les récits d’agression, de destruction en soulignent, toutefois, les pillages halal et autres « ghanima » ou butins légitimes…
            Où est notre El-Kahina dans tout cela ? Elle symbolise le héros vaincu, la statue  à abattre, voire la risée ou l’antihéros à ne pas imiter, à congédier, à refouler... C’est l’ennemie des conquérants arabes et musulmans de l’Ifriqiya ou Tunisie d’aujourd’hui.
           Comment se situer au niveau de l’identité, par rapport à elle ? Comment se situer par rapport à Hannibal, symbole de fierté nationale ? C’est l’ambivalence des repères identitaires qui meublent le savoir scolaire historique avec sa charge idéologique occultant l’identité berbère de la Tunisie et cultivant l’amnésie culturelle jusqu’au déracinement civilisationnel. Tout cela au non d’une prétendue  « unité nationale ».
          Quel rapport à ce savoir observent les élèves et quelle posture du côté des enseignants ? C’est là l’originalité de ces questions traitant de l’appropriation du savoir historique en contexte scolaire autour d’un thème sensible et central qui est celui de l’identité nationale.
           Au niveau didactique, les héros servent de vecteurs appropriés véhiculant toute sorte de charges dans l’appropriation du savoir historique, surtout auprès des scolaires, des adolescents à la recherche d’idoles.
          Comment construire ces héros ? Comment les manipuler ? Pour quelles finalités dans l’opération de la gestion du savoir historique ? Ce sont autant de questions rappelant le maniement d’un arsenal, mais ici il s’agit de l’arsenal conceptuel, bien entendu. Ce sont des questions très sensibles et socialement vives.
Notre candidat nous offre ici une incursion dans cette prairie historique où il nous présente d’abord, dans son travail, le héros dans l’usage de l’histoire scolaire visitée du côté des cursus ainsi que des pratiques sociopolitiques.
           Il traite des enjeux actuels de la question identitaire se rapportant à la thématique étudiée dans le cadre du processus enseignement-apprentissage avant de passer à la visite du savoir-savant où il est question du rapport Héros et Identité entre la rigueur historique  et la subjectivité de la mémoire collective.
          Un langage conceptuel fourni autour du héros, identité, représentations, mémoire collective, légende, mythe exprime une analyse scientifique bien soutenue dans la deuxième partie de cette recherche, dont le niveau est réellement celui des thèses de doctorat. D’ailleurs, à juste titre, le candidat a déjà fait ses premières armes dans le cadre d’un DEA d’histoire il ya quelques années.
          Dans une troisième et dernière partie du travail présenté, il est question du traitement de données empiriques autour de l’ambivalence de nos deux héros balisant les repères identitaires de nos lycéens.
           A travers ce travail, sont visibles les finalités civiques de l’histoire enseignée ainsi que l’écart constaté entre les objectifs explicites, mentionnés dans les textes officiels, et les pratiques réelles de classes d’histoire qui ignorent les dimensions épistémologiques du savoir historique ainsi que les ABC didactiques. Ce hiatus entre les cursus, tels qu’ils sont tracés officiellement, et les pratiques du métier d’enseignement, représente le point faible de l’opération enseignement-apprentissage étudiée générant des anachronismes historiques au niveau des appréciations des faits par les élèves.
          Les résultats de recherche sont clairement formulés. Ils concernent la carence dans les programmes touchant l’histoire berbère du pays qui influe négativement sur le registre d’identification engendrant une conception étriquée de l’appartenance. Celle-ci ampute ainsi la composante berbère, occultée au profit d’une vision renfermée sur l’arabo-musulman.
            L’altérité est réduite à une signification restreinte chez les élèves. Elle désigne, pour eux, l’Occidental, le non arabophone, le non musulman. Le rapport à l’autre, atrophié, influencé par des considérations religieuses issues de référentiels historiques réducteurs d’historiographes arabes arrive à toucher la composante identitaire, elle-même, dans sa dimension berbère, maghrébine africaine et méditerranéenne. Quant aux perspectives (qui ne forment pas, méthodologiquement une partie à part, comme il est fait malencontreusement dans le travail), elles annoncent des pistes de recherche prometteuses en thèses, touchant à l’oubli, conscient ou non, dans le panthéon des héros nationaux, en réhabilitant, pourquoi pas, ceux qui en sont injustement exclus par l’historiographie arabe classique…
         Enfin, une belle bibliographie thématique et critique clôture ce travail dont la lecture attentive est recommandée.



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