L'histoire à l'école élémentaire en France
depuis 1945
par Benoit Falaize, Presses
universitaires de Rennes,
De nombreux livres ont été écrits
sur l'histoire des disciplines scolaires. La thèse de Benoît Falaize a une
particularité : l'auteur aime les enseignants. Il ne s'en tient pas aux manuels
ou aux programmes pour estimer l'évolution d'un enseignement. Benoît Falaize
cherche à atteindre ce qui se passe en classe. En décryptant les cahiers
d'élèves, les rapports d'inspection, la presse pédagogique, il nous révèle un
continent inconnu: l'histoire des pratiques pédagogiques. Une
histoire qui évolue mais à un rythme bien différent des débats politiques et
même des instructions officielles.
On le sait : l'école a une place à
part dans la construction de la nation française. C'est un des piliers de la
nation. Et dans ce projet, les pères fondateurs ont donné à l'enseignement de
l'histoire une place à part, celle de créer une nation républicaine.
Aussi travailler sur l'enseignement de l'histoire à l'école élémentaire c'est
revivre les soubresauts de l'histoire politique nationale, tellement est
récurrent le débat sur cet enseignement et tellement il traverse les
lignes du débat politique général.
Le grand intérêt de la thèse de
Benoît Falaize (Université de Cergy Pontoise, Espe de Versailles) est de
ne s'en tenir ni au débat politique, ni à sa transcription dans les
programmes et les manuels scolaires. B Falaize nous emmène dans la classe où il
évalue l'évolution des pratiques à travers les cahiers d'élèves conservés, les
rapports d'inspection sur des territoires (par exemple la Charente maritime) ou
la presse pédagogique (et notamment le Journal des instituteurs).
Cette approche tout à fait nouvelle
éclaire puissamment le découpage chronologique que propose B Falaize où se
superposent des temps différents. Temps courts des politiques qui font rédiger
des programmes et des instructions. Temps long des pratiques de classe qui
évoluent par "bricolage" des enseignants entre ce qu'ils pensent être
l'enseignement de l'histoire, les modèles que transmettent les titres
spécialisés ou les formations et le bagage reçu des anciens.
C'est avec ce regard qu'il faut
lire le découpage en périodes que propose B Falaize. La première concerne la
4ème République. Après une phase d'hésitation sur le maintien de l'enseignement
de l'histoire, des tentatives de renouvellement pédagogique, on est vite revenu
à une histoire traditionnelle marquée par le tropisme du certificat d'étude et
faisant l'impasse sur le traumatisme de la guerre.
Là B Falaize apporte un second
éclairage totalement nouveau par un travail très pointu sur l'enseignement de
l'histoire dans les colonies. On en retiendra une remise en question de la
carte postale de "nos ancètres les Gaulois". L'école coloniale a
cherché à faire le lien avec les cultures locales même si c'est pour mieux
justifier le système colonial.
Les débuts de la 5ème République
montrent une évolution des pratiques avec l'entrée du document dans la classe
et déjà l'arrivé de méthodes actives. Cela passe par exemple par l'intérêt pour
l'histoire locale. Là aussi il faut lire les pages que B Falaize consacre aux
rapports d'inspection, aux échanges entre inspecteurs, tout acquis aux idées
nouvelles et les enseignants qui défendent leurs gestes professionnels.
Les années 1969 à 1978 sont celles
de la tentative d'un renouvellement de l'enseignement de l'histoire avec
"l'éveil". Aux réflexions menées par l'INRP répond le désarroi
enseignant mais aussi une certaine continuité des pratiques. Finalement la
récréation, dans la mesure où elle a eu lieu, est vite sifflée. Le débat
des années 1978 à 1985 voit le retour à la tradition. Dans les classes se
fabrique un nouvel équilibre entre éveil et pratiques traditionnelles.
Benoit Falaize nous emmène alors
vers les débats récurrents sur l'histoire qui traversent les 30 dernières
années. Elles sont marquées par l'invasion des différentes mémoires
mais aussi par une évolution des pratiques.
On retiendra surtout de ce livre
l'idée de la complexité de l'enseignement de l'histoire au primaire. Plus
qu'aux débats politiques, les enseignants font face aux questions du
"comment faire". Comment enseigner une réalité historique complexe à
de jeunes enfants. De ce coté là, la thèse de B Falaize apporte des éclairages
tout à fait nouveaux et qui peuvent aider concrètement les enseignants de
terrain aujourd'hui. Car faire évoluer l'enseignement de l'histoire à l'école
c'est répondre au désarroi des enseignants et non l'entretenir à coup de débats
politiciens.
-----------------------------------------
Benoît
Falaize: Les enseignants face à la difficulté de transmettre
(Interview
de François Jarraud)
"Il y a la question du
comment faire. Ces questions là sont fondamentales. Elles se posent depuis
toujours sur l'enseignement de l'histoire et particulièrement celle du comment
faire." Benoît Falaize nous donne un riche entretien où il démonte
les débats sur l'enseignement de l'histoire pour en revenir à l'essentiel : ce
qui se passe dans la classe.
Quelle est la place de
l'enseignement de l'histoire à l'école élémentaire ? Est-elle restée au même
niveau ou a-t-elle évolué ?
Il n'y a eu qu'un moment où on s'est demandé s'il fallait
maintenir l'enseignement de l'histoire à l'école élémentaire. C'est après la
Libération. Les arguments c'était que cet enseignement était chauvin,
belliciste et trop difficile pour les enfants. Mais juste après l'enseignement
de l'histoire est réinstallé dans les programmes. Le seul moment où la part de
l'histoire diminue c'est au moment de l'éveil, entre 1978 et 1985, où on
expérimente de nouvelles formes de pédagogie. Là l'histoire fait partie des
" sciences sociales" avec 5 autres disciplines. Mais dès la fin des
années 1970, c'est très discuté. Et dès 1980, avant Chevènement (1985),
on rétablit une heure hebdomadaire d'histoire. Sous Darcos on amoindrit de 15
minutes l'histoire mais c'est anecdotique.
Quand on lit votre thèse on a
l'impression qu'il y a un double mouvement du temps. Celui des instructions
officielles et celui de la classe. Qu'en pensez-vous ?
C'est l'idée centrale de mon travail. Il y a une déconnexion
constante et permanente entre les textes officiels, les manuels et la réalité
de la pratique effective de l'histoire dans la classe. C'est difficile à
percevoir. On perçoit ce qui se passe dans la classe par les rapports
d'inspection, les cahiers d'élèves et les revues pédagogiques. On arrive ainsi
à deviner les contours.
Et on voit que les programmes ne modifient pas les pratiques.
Evidemment des thèmes arrivent dans les contenus d'enseignement comme en 2002
la Shoah. Mais c'est à la marge. Ce qui est important c'est des évolutions
beaucoup plus longues qui dépendent des courants pédagogiques, des manières de
faire, des usages qui se transmettent. On a une sédimentation de pratiques.
Rien ne disparait jamais. Et rien n'est profondément original.
C'est une particularité de l'école élémentaire que l'on ne
retrouve pas à l'école secondaire car là si on a des modes opératoires
pédagogiques, les programmes font le contenu du cours. A l'école c'est différent.
Par exemple, pendant l'éveil où il n'y a pas de programme, on continue à
enseigner l'histoire comme il y a 20 ans et inversement on se rend compte
aujourd'hui qu'il reste un peu d'éveil dans les classes alors qu'il a disparu
institutionnellement.
Cela pose la question des facteurs
d'évolution. Si ce n'est pas les programmes, c'est la formation ? Les échanges
entre enseignants ? Internet ?
C'est quand même les programmes mais ancrés dans l'histoire c'est
à dire compris à travers la représentation que l'on a de l'histoire. Il ne faut
pas oublier que les professeurs des écoles ne sont pas des spécialistes.
Ensuite il y a la question des évolutions de société. Au tournant de années
1990 se construit un nouveau regard vers l'histoire plus mémoriel, plus citoyen,
mais pas de la même citoyenneté qu'au 19ème siècle. On ne cherche plus à faire
de élèves des Français mais des acteurs sociaux du futur.
Un autre élément c'est que dans les usages de 'histoire il y a les
bricolages pédagogiques des enseignants soumis à des modes pédagogiques avec à
la marge l'influence des mouvements pédagogiques. Par exemple c'est intéressant
de voir comment le mouvement Freinet a à la fois peu diffusé et en même temps
on retrouve dans les pratiques des éléments qui viennent du mouvement. Il y
adonc beaucoup du mimétisme. L'enseignant plus âgé transmet son matériel, ses
manières de faire. Il ya des doxas qui semblent des évidences.
Par exemple, dans les années 1980-1990 s'est imposé le fait de
présenter des documents avec en dessous 4 ou 5 questions. Avec l'idée que faire
l'histoire c'est analyser des documents. Ca s'est institutionnalisé sans textes
prescriptifs.
On aurait pu penser que d'autres facteurs auraient pu être plus
prégnants. Je pense à l'APHG (association des professeurs
d'histoire-géographie) : a-t-elle eu une grande influence sur l'enseignement de
l'histoire à l'école élémentaire ? Le rôle de la masterisation : par
exemple on doit avoir des professeurs des écoles qui sont diplômés en histoire.
Ensuite il y a le rôle d'internet et des blogs d'enseignants. Vous avez une
idée de leur influence?
L'APHG a un rôle quasi nul car quand elle intervient c'est au
moment de critiques de l'école élémentaire. Et les enseignants du primaire soit
sont indifférents à ses positions soit sont en opposition avec elle. Son rôle
c'est de lancer le débat. A la fin des années 70, c'est l'APHG qui lance le
débat sur l'enseignement de l'histoire à l'école élémentaire sur l'idée de
"on n'enseigne plus l'histoire à nos enfants".
Quand on réfléchit à l'impact de la masterisation, on voit que la
vraie évolution ne se situe pas au moment de la masterisation mais au moment
où, pour devenir enseignant, il faut avoir fait trois ans d'études après le
bac. A ce moment là on recrute des professeurs d'école normale et d'IUFM chez
les professeurs du secondaire y compris des professeurs d'histoire du
secondaire qui transmettent une didactique de l'histoire qui vient du
secondaire. Par exemple l'usage du document, la critique du document, des
procédures intellectuelles qui viennent du secondaire et qui étaient étrangères
au monde de l'école élémentaire. Cela va structurer les pratiques qui existent
aujourd'hui dans l'enseignement de l'histoire à l'école.
En ce qui concerne Internet et les blogs d'enseignants, on manque
d'études suffisamment longues et sérieuses pour évaluer les effets d'internet
sur les modifications des pratiques des enseignants avec Internet.
Une question apparait centrale et
se retrouve sur toute la période que vous étudiez. C'est celle de
l'enseignement de l'histoire au service du roman national et de la construction
de l'identité nationale. Ca reste une question actuelle ?
La question nationale est au cœur de tous les débats sur
l'enseignement de l'histoire depuis un siècle et demi. Savoir ce qu'on veut
faire de l'enseignement de l'histoire avec des enfants aussi petits est bien
une question fondamentale. V Duruy au 19ème siècle se la posait déjà. C'est la
question des Républicains sous la IIIème République. On se la pose à
nouveau juste après la 1ère guerre mondiale pendant laquelle le corps des
instituteurs a été très touché mais des élèves aussi sont morts au combat.
On se demande ce qu'est cet enseignement qui provoque du chauvinisme et
qui envoie les enfants à la mort.
J'observe trois périodes de désenchantement. Celle de l'entre deux
guerres où la 1ère guerre a remis en cause le récit de l'histoire. Le second
c'est après la 2de guerre mondiale car le choc a été tel qu'on se demande ce
qu'il faut dire aux enfants. Il y a un 3ème choc qui se situe avec
l'allongement de la scolarité par la réforme Berthoin. Là on se dit qu'on ne va
pas couvrir toute l'histoire nationale puisque les enfants vont la revoir au
collège. Et au même moment c'est la décolonisation et on voit qu'il est
difficile de chanter la France universelle alors que décolonisation remet en
cause cet universalisme. C'est encore le débat d'aujourd'hui : à quoi sert
l'enseignement de l'histoire ? Pour quel récit national, intégrateur ? Quels
contenus doivent être enseignés ? Là le débat reste entier.
Mais ce que ne savent pas les débatteurs, c'est qu'ils utilisent
des arguments dans tous les camps qui ont été utilisés à la fin du 19ème et
tout au long du 20ème. Il y a ceux qui disent : "il faut développer
l'esprit critique et à bas l'histoire nationale" et ceux qui disent il
faut un récit français.
Personnellement, je défends un 3ème discours. On ne fait pas
d'histoire sans discours scientifique même avec des enfants. Mais il faut savoir
le traduire dans le langage des enfants. On a des choses à montrer aux enfants
qui ne sont pas de l'ordre d'un modèle français mais qui sont des valeurs et
des personnages qui permettent de donner du sens à des mots comme dignité,
égalité , lutte contre les inégalités, ces combats majeurs des hommes et des
femmes depuis toujours. Ce n'est pas un récit national. O peut bien sur parler
de grands hommes comme Jean Moulin ou Lucie Aubrac parce qu'ils permettent de
faire comprendre des valeurs aux enfants.
Peut-on dire que la question
mémorielle pénètre de plus en plus l'enseignement de l'histoire ?
Oui à partir du tournant du siècle. Il y a un effet des programmes
de 2002. Mais on en avait déjà des traces avant. Par exemple avec l'histoire de
la Shoah puis d'autres mémoire qui se sont installées par exemple l'esclavage.
Mais ça s'est installé toujours sous l'angle moral dans les pratiques de
classe, celui du bien et du mal. On sait qu'on a le collège et le lycée qui
feront le travail scientifique.
Vous concluez par un mot dur celui
du désarroi des enseignants. Peut on dépasser ce désarroi sur les contenus et
sur les méthodes?
C'est compliqué. On retrouve une question lancinante : la
difficulté à enseigner l'histoire, à savoir ce qu'ils doivent enseigner , ce qu'ils
doivent retenir et isoler de l'enchevêtrement des événements. Que doivent
retenir les enfants ? Et puis il y aussi la question du comment faire. Faut-il
utiliser des documents ? Combien ? Comment ?
Ces questions là sont fondamentales. Elles se posent depuis
toujours sur l'enseignement de l'histoire et particulièrement celle du comment
faire.
Le grand apport de votre thèse
c'est de réintroduire les pratiques dans un sujet qui reste très politique ?
Quand on revient aux pratiques on se rend compte que ces débats,
s'ils sont bien légitimes, ont peu de prise sur la vie de la classe et les
pratiques enseignantes. Ils définissent une orientation mais cela reste à la
marge de ce qui se fait en classe. L'essentiel c'est cette difficulté qu'ont
les enseignants à transmettre l'histoire.