Enseigner avec le récit en histoire
Stéphane Calvo janvier 2014
1.
Approche globale : le récit en Histoire
Les programmes nous demandent d’incarner l’Histoire, lui
donner « de la chair et du sang » afin de créer du sens, soutenir l’intérêt des
élèves et leur permettre d’acquérir une culture historique.
Le récit est l’outil privilégié pour mettre en oeuvre cette
démarche mais le récit en histoire n’est pas une narration comme au temps des
débuts de la III° République quand l’histoire s’est imposée dans l’éducation
des enfants avec comme fondement le récit de l’histoire de France … ce récit
fondateur est en fait un récit de fondation celui de la nation et de la
République qui accompagna les élèves et les maîtres durant de longues décennies
avec le « petit Lavisse » … le temps de l’affirmation républicaine où le récit
ne fut pas interrogé pour lui-même. Alors, qu’est ce que le récit aujourd’hui ?
Le récit pose 3 questions dans la procédure historienne :
- Celle du rapport à l’événement : la description
de l’événement, loin de se borner à une chronologie des faits, contient dans sa
trame le sens de l’événement
- Celle du rapport au témoin, qui est celle
de la procédure par laquelle s’élabore la connaissance historique. Le récit de
l’historien ne peut se construire que sur la foi du témoignage des acteurs
interrogés de manière critique en effaçant la parole partiale (On interroge les
sources historiques)
- Celle des modalités spécifiques du récit historique :
Certes la contrainte temporelle du temps historique et la réalité du passé ne
sont pas imaginaires, mais sont imaginables car la construction du passé doit
s’aider de l’imagination. La crédibilité de la fiction exige d’historiciser le
passé raconté : « une voix parle qui dit, selon elle, ce qui s’est passé. Pour
le lecteur ou l’auditeur le contrat est que ce qui est rapporté par la voix
narrative appartient au passé et ainsi ce qui est formulé ressemble à des
événements passés. Il y a bien ici fictionnalisation de récit d’histoire.
QUELQUES REFERENCES DIDACTIQUES ET SCIENTIFIQUES:
Paul Ricoeur (Temps et Récit, Point Seuil, Trois
volumes parus en 83, 84 et 85):
1. Le récit est une « mise en intrigue », donc une
manière de trier des informations et d’en organiser la présentation pour créer
un objet et lui donner un sens ; dans la création du récit, il y a donc un
amont et un aval : le temps « préfiguré » de la conception (ou de la recherche)
est « configuré » par le récit et « refiguré » par la lecture ou la parole ; la
« mise en intrigue » transforme une diversité d’événements ou de situations en
une histoire unifiée, donc une « totalité signifiante », donc une « synthèse de
l’hétérogène » de laquelle surgit une intelligibilité, une logique, une « force
explicative » Depuis Temps et Récit, tous les historiens revendiquent le récit
comme modalité d’écriture de l’histoire (dans les années 1980 par exemple :
Georges Duby et Guillaume le Maréchal)
2. Il n’y a « de temps pensé que raconté » : donc
l’histoire passe toujours par le récit et la compréhension de l’histoire est
toujours compréhension du récit ; seule l’activité narrative a le pouvoir de «
refigurer » le temps.
3. Le récit entrecroise un récit historique et un récit de
fiction (leur origine commune est l’épopée)
Henri Moniot : (Didactique de l’Histoire, Nathan pédagogie,
1993)
L’histoire est narrative (page 71 et suivantes)
Il existe depuis peu un « retour du récit » : faut-il s’en
émerveiller (le public veut de l’histoire), faut-il s’en inquiéter
(soft-idéologie et complaisance éditoriale) ? Or la narration est le principe
même de l’histoire, c’est une initiative constituante, c’est l’apport d’une
intelligibilité.
Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire (Point Seuil,
1996)
Mise en intrigue et narrativité : page 245 et suivantes
La mise en intrigue commence avec le découpage de l’objet,
l’identification d’un début et d’une fin…..elle porte aussi sur les personnages
et les scènes. Elle est choix des acteurs et des épisodes (une liste de
personnages et une suite de décors)….elle décide aussi du niveau auquel on se
place : de plus ou moins près. Mais ce choix implique davantage : il constitue
les faits comme tels ….et la configuration entraîne l’explication. L’histoire
raconte et c’est en racontant qu’elle explique
Quelques définitions :(adaptées de Benveniste)
Texte : ensemble
d’énoncés, écrits ou oraux, qui a une cohérence ou une cohésion propres. Le
texte se décompose en séquences qui ont une certaine autonomie tout en étant en
interaction avec le texte. On distingue des séquences narratives, descriptives,
argumentatives, explicatives, dialogales.
Narration : production
d’un récit dont le lecteur virtuel est appelé le narrataire. Le narrateur est
un tiers fictif distinct de l’auteur : il peut être extra diégétique (extérieur
à l’histoire) ou intra diégétique (il est l’un des personnages de l’histoire)
Discours : c’est
un texte considéré dans son contexte (ou situation d’énonciation – donc un
texte de manuel scolaire est un discours ; idem la parole d’un professeur). On
distingue plusieurs types de discours : littéraire, philosophique,
scientifique, publicitaire,…mais aussi des genres : roman, nouvelle, conte,
récit, poésie, tragédie, drame, comédie, essai, autobiographie, journal intime,…
Récit : c’est
le produit de la narration. Le récit rassemble un ensemble d’événements ayant
une unité thématique, les organise temporellement et construit un process
(transformation entre une situation initiale et une situation finale).
L’histoire est le contenu du récit.
Focalisation : sélection
de l’information narrative, donc c’est une vision, un point de vue, une
perspective narrative. La focalisation zéro (le narrateur raconte comme s’il en
savait plus que tous les personnages), la focalisation externe (il en dit moins
que n’en savent les personnages) et la focalisation interne (il ne dit que ce
que sait tel personnage).
2. Approche pédagogique : pourquoi utiliser le récit en classe
de collège?
L’expression écrite des élèves doit être une pratique
courante en classe d’histoire géographie, dans cette démarche le récit est un
outil pédagogique de première importance. Depuis plus d’une dizaine d’années
nous fonctionnons sur la progression suivante dans l’apprentissage du récit.
A la fin de la sixième, les élèves devraient être capables de rédiger une phrase
simple pouvant servir de conclusion à une séquence en classe, de transcrire une
information tirée d’une image ou d’une carte, de mettre en relation deux
documents.
Au cycle central, ces démarches pédagogiques demeurent mais les élèves sont
conduits à plus d’autonomie … exercices classe/maison et une pratique plus
prononcée de la documentation sous ses différentes formes (manuel, recherche
autonome au CDI, TICE…) Les élèves doivent en outre commencer à s’exercer à la
synthèse dont la première étape est le croisement de quelques informations
tirées de documents. L’expression de cette synthèse peut être écrite ou orale.
En troisième :
la suite logique de ce long travail de préparation doit mener les élèves à une
meilleure mobilisation des connaissances acquises et leur permettre d’écrire
des textes d’une vingtaine de lignes
Il faut veiller à adapter cette progression dans la
construction du « récit historique » par les élèves
NB.
La progressivité des acquisitions en matière d’aptitude à la communication
écrite tient compte du rythme des apprentissages en français : programme après
programme, le travail d’équipe est indispensable. Derrière les spécificités de
chaque discipline, les élèves doivent être en mesure de ressentir le projet
fondamental commun.
Le projet d’écriture et d’oralité doit donc mobiliser le
professeur d’histoire-géographie en dehors des compétences propres à sa
discipline … Une réflexion doit donc s’engager sur ces compétences croisées
avec les professeurs de lettres …
En exergue des programmes :
« Exposer leurs connaissances en construisant de courts
récits (on tiendra compte des progressions prévues en français pour
l’expression écrite et l’expression orale) »
Dans les programmes le récit peut être tantôt
descriptif, tantôt explicatif, et souvent une combinaison des deux. (La
capacité expliquer est incluse dans le récit). Il faut absolument faire passer
l’idée que le récit est aussi explication. Il comprend une dimension
descriptive (les faits, les événements, les acteurs), une dimension explicative
(idées, notions concepts et arguments, causes/conséquences ?)
Dans l’idée des auteurs (historiens) de cette
partie du programme, il faut faire passer l’élève d’une attitude passive
(intellectuellement) à une position d’auteur de l’histoire. Il traite ainsi des
sources, des documents (ce qui n’a plus rien à voir avec une lecture guidée par
une succession de questions) dans le but de construire un récit à propos d’une
question ouverte, qui va permettre de construire la mise en intrigue. L’élève
doit lors d’une tâche complexe, communiquer (à l’écrit non pas pour écrire, et
à l’oral non pas pour parler, mais pour faire passer un message) en faisant
passer les enjeux et les aspects d’une question à un public, méconnaissant le
sujet. (Exemple : raconter la fondation légendaire de Rome.)
Le récit en classe peut avoir plusieurs aspects et plusieurs
modalités :
La réapparition du récit dans la classe, dans une
forme épistémologiquement fondée, justifie de construire des récits cohérents
par le professeur et d’en faire construire aux élèves en respectant les règles
de construction ou faisant analyser et identifier comme tel un récit
historique. Le récit conduit à revaloriser le texte ou le discours construit
qui raconte l’histoire …et à acquérir les compétences « raconter et expliquer »
et « décrire et expliquer »
3 postures pour « raconter » : lecture / écriture /
audio-vision
3 acteurs : le prof, l’élève, le medium (intervenant /
audiovisuel …)
2 situations : orale et écrite
Le récit du prof : un éclat du récit, l’incarnation de
l’histoire comme construction du savoir.
Le récit ici est utilisé comme illustration. Il est interrogé
de manière déductive et peut en deuxième temps être utilisé comme « document »
dans la construction du savoir ainsi que de la sélection d’informations …
La progressivité des différents niveaux du récit (en prenant l’exemple du récit de la fondation
de Marseille par les Phocéens (6°) : les élèves sur ce travail, guidés par leur
prof, sont en posture de produire du récit ou d’interroger le récit …)
1. Le récit factuel : Avec un objectif de maîtrise de la chronologie … On va
raconter le périple des Phocéens, en insistant sur le « où », le « quand » et
en exposant « un fait ». Les « mots du Français » utilisés ici sont «
d’abord/Ensuite/Puis … »
2. Le récit explicatif : on inclut ici le récit des connaissances visées par les
objectifs de la leçon … On va insister sur la notion de « cité » et la
localisation … Les « mots du Français » utilisés ici sont « c’est pourquoi/
ainsi … »
3. Le récit analytique. On aborde le coeur de la leçon … Ici on analyse
le concept de colonisation … . Les « mots du Français » utilisés ici sont «
selon, car, donc … »
4. le récit critique : niveau inabordable pour les élèves avant la 4° mais qui
doit l’être en collaboration avec le professeur dès la 6° Pour l’étude de
Marseille, on va confronter le mythe avec la réalité … . Les « mots du Français
» utilisés ici sont « Cependant, par ailleurs … »
La construction du récit par les élèves :
- La narration : Mise en ordre d’informations de
sources diverses comme avec l’enfant à Rome dans le programme de 6° pour faire
découvrir la République romaine en interrogeant un récit fictif … Ici nous
sommes en présence d’un récit de type historique ou croisé avec le Français
dans le genre autobiographie fictionnelle … reste à définir l’activité des
élèves car nous sommes loin ici de la rédaction de la petite phrase de
conclusion du programme
- La composition : Après un questionnement sur des documents
et la mise en évidence de « mots clés » rédaction d’un petit paragraphe sur un
thème précis : ex : Les Grandes Panathénées en 6° ou la crise de la monarchie
en 4°
Ici nous sommes dans le récit de l’histoire problématisée
avec un récit argumentatif (justifications)
3. Approche pédagogique : quelques pistes
Vous trouverez sur le lien ci-dessous une
progression, en huit paliers, dans l’apprentissage du récit en histoire, dans
un niveau charnière en collège : la 5°, travail établi en collaboration avec
Véronique Ponton. Vous y trouverez également un diaporama sur un de ces
paliers : la construction du récit de la chevauchée de Jeanne d’Arc
http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/hg/articles.php?lng=fr&pg=146
4. Bibliographie / sitographie
Le récit en Histoire (parmi de nombreux ouvrages et articles)
PROST Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, 1996.
RICOEUR Paul, Temps et récit, tomes 1- 2- 3, poche 1991.
VEYNE Paul, Comment on écrit l’histoire?, Point Seuil, 1978.
DE CERTEAU Michel, L’Écriture de l’histoire, Paris,
Gallimard, 1975
MONIOT HENRI, Didactique de l’Histoire, Nathan pédagogie,
1993
CARIOU Didier, Références à l’épistémologie de l’histoire et
des sciences humaines dans deux recherches en didactique de l’histoire :
http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/formations/journees-d-etude-didactique/journees-d-etude-
didactique-2007/jed2007_pdf/cariou.pdf
Fiche de Temps et récit de Paul RICOEUR:
http://digression.forum-actif.net/ricoeur-f26/l-intrigue-et-le-recit-historique-temps-et-recit-i-t139
Le récit en français
Le récit en français : le schéma narratif
http://emile.simonnet.free.fr/sitfen/narrat/narr0001.htm
Vade-mecum
des capacités en histoire-géographie-éducation civique : Raconter / Décrire
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