mercredi 23 novembre 2016

Enseigner avec le récit en histoire


 Enseigner avec le récit en histoire
Stéphane Calvo janvier 2014

1.      Approche globale : le récit en Histoire

Les programmes nous demandent d’incarner l’Histoire, lui donner « de la chair et du sang » afin de créer du sens, soutenir l’intérêt des élèves et leur permettre d’acquérir une culture historique.
Le récit est l’outil privilégié pour mettre en oeuvre cette démarche mais le récit en histoire n’est pas une narration comme au temps des débuts de la III° République quand l’histoire s’est imposée dans l’éducation des enfants avec comme fondement le récit de l’histoire de France … ce récit fondateur est en fait un récit de fondation celui de la nation et de la République qui accompagna les élèves et les maîtres durant de longues décennies avec le « petit Lavisse » … le temps de l’affirmation républicaine où le récit ne fut pas interrogé pour lui-même. Alors, qu’est ce que le récit aujourd’hui ?
Le récit pose 3 questions dans la procédure historienne :
- Celle du rapport à l’événement : la description de l’événement, loin de se borner à une chronologie des faits, contient dans sa trame le sens de l’événement
- Celle du rapport au témoin, qui est celle de la procédure par laquelle s’élabore la connaissance historique. Le récit de l’historien ne peut se construire que sur la foi du témoignage des acteurs interrogés de manière critique en effaçant la parole partiale (On interroge les sources historiques)
- Celle des modalités spécifiques du récit historique : Certes la contrainte temporelle du temps historique et la réalité du passé ne sont pas imaginaires, mais sont imaginables car la construction du passé doit s’aider de l’imagination. La crédibilité de la fiction exige d’historiciser le passé raconté : « une voix parle qui dit, selon elle, ce qui s’est passé. Pour le lecteur ou l’auditeur le contrat est que ce qui est rapporté par la voix narrative appartient au passé et ainsi ce qui est formulé ressemble à des événements passés. Il y a bien ici fictionnalisation de récit d’histoire.

QUELQUES REFERENCES DIDACTIQUES ET SCIENTIFIQUES:

Paul Ricoeur (Temps et Récit, Point Seuil, Trois volumes parus en 83, 84 et 85):

1. Le récit est une « mise en intrigue », donc une manière de trier des informations et d’en organiser la présentation pour créer un objet et lui donner un sens ; dans la création du récit, il y a donc un amont et un aval : le temps « préfiguré » de la conception (ou de la recherche) est « configuré » par le récit et « refiguré » par la lecture ou la parole ; la « mise en intrigue » transforme une diversité d’événements ou de situations en une histoire unifiée, donc une « totalité signifiante », donc une « synthèse de l’hétérogène » de laquelle surgit une intelligibilité, une logique, une « force explicative » Depuis Temps et Récit, tous les historiens revendiquent le récit comme modalité d’écriture de l’histoire (dans les années 1980 par exemple : Georges Duby et Guillaume le Maréchal)
2. Il n’y a « de temps pensé que raconté » : donc l’histoire passe toujours par le récit et la compréhension de l’histoire est toujours compréhension du récit ; seule l’activité narrative a le pouvoir de « refigurer » le temps.
3. Le récit entrecroise un récit historique et un récit de fiction (leur origine commune est l’épopée)


Henri Moniot : (Didactique de l’Histoire, Nathan pédagogie, 1993)

L’histoire est narrative (page 71 et suivantes)
Il existe depuis peu un « retour du récit » : faut-il s’en émerveiller (le public veut de l’histoire), faut-il s’en inquiéter (soft-idéologie et complaisance éditoriale) ? Or la narration est le principe même de l’histoire, c’est une initiative constituante, c’est l’apport d’une intelligibilité.

Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire (Point Seuil, 1996)

Mise en intrigue et narrativité : page 245 et suivantes
La mise en intrigue commence avec le découpage de l’objet, l’identification d’un début et d’une fin…..elle porte aussi sur les personnages et les scènes. Elle est choix des acteurs et des épisodes (une liste de personnages et une suite de décors)….elle décide aussi du niveau auquel on se place : de plus ou moins près. Mais ce choix implique davantage : il constitue les faits comme tels ….et la configuration entraîne l’explication. L’histoire raconte et c’est en racontant qu’elle explique

Quelques définitions :(adaptées de Benveniste)

Texte : ensemble d’énoncés, écrits ou oraux, qui a une cohérence ou une cohésion propres. Le texte se décompose en séquences qui ont une certaine autonomie tout en étant en interaction avec le texte. On distingue des séquences narratives, descriptives, argumentatives, explicatives, dialogales.

Narration : production d’un récit dont le lecteur virtuel est appelé le narrataire. Le narrateur est un tiers fictif distinct de l’auteur : il peut être extra diégétique (extérieur à l’histoire) ou intra diégétique (il est l’un des personnages de l’histoire)

Discours : c’est un texte considéré dans son contexte (ou situation d’énonciation – donc un texte de manuel scolaire est un discours ; idem la parole d’un professeur). On distingue plusieurs types de discours : littéraire, philosophique, scientifique, publicitaire,…mais aussi des genres : roman, nouvelle, conte, récit, poésie, tragédie, drame, comédie, essai, autobiographie, journal intime,…

Récit : c’est le produit de la narration. Le récit rassemble un ensemble d’événements ayant une unité thématique, les organise temporellement et construit un process (transformation entre une situation initiale et une situation finale). L’histoire est le contenu du récit.

Focalisation : sélection de l’information narrative, donc c’est une vision, un point de vue, une perspective narrative. La focalisation zéro (le narrateur raconte comme s’il en savait plus que tous les personnages), la focalisation externe (il en dit moins que n’en savent les personnages) et la focalisation interne (il ne dit que ce que sait tel personnage).

2. Approche pédagogique : pourquoi utiliser le récit en classe de collège?

L’expression écrite des élèves doit être une pratique courante en classe d’histoire géographie, dans cette démarche le récit est un outil pédagogique de première importance. Depuis plus d’une dizaine d’années nous fonctionnons sur la progression suivante dans l’apprentissage du récit.
A la fin de la sixième, les élèves devraient être capables de rédiger une phrase simple pouvant servir de conclusion à une séquence en classe, de transcrire une information tirée d’une image ou d’une carte, de mettre en relation deux documents.
Au cycle central, ces démarches pédagogiques demeurent mais les élèves sont conduits à plus d’autonomie … exercices classe/maison et une pratique plus prononcée de la documentation sous ses différentes formes (manuel, recherche autonome au CDI, TICE…) Les élèves doivent en outre commencer à s’exercer à la synthèse dont la première étape est le croisement de quelques informations tirées de documents. L’expression de cette synthèse peut être écrite ou orale.
En troisième : la suite logique de ce long travail de préparation doit mener les élèves à une meilleure mobilisation des connaissances acquises et leur permettre d’écrire des textes d’une vingtaine de lignes

Il faut veiller à adapter cette progression dans la construction du « récit historique » par les élèves

NB. La progressivité des acquisitions en matière d’aptitude à la communication écrite tient compte du rythme des apprentissages en français : programme après programme, le travail d’équipe est indispensable. Derrière les spécificités de chaque discipline, les élèves doivent être en mesure de ressentir le projet fondamental commun.

Le projet d’écriture et d’oralité doit donc mobiliser le professeur d’histoire-géographie en dehors des compétences propres à sa discipline … Une réflexion doit donc s’engager sur ces compétences croisées avec les professeurs de lettres …
En exergue des programmes :
« Exposer leurs connaissances en construisant de courts récits (on tiendra compte des progressions prévues en français pour l’expression écrite et l’expression orale) »

Dans les programmes le récit peut être tantôt descriptif, tantôt explicatif, et souvent une combinaison des deux. (La capacité expliquer est incluse dans le récit). Il faut absolument faire passer l’idée que le récit est aussi explication. Il comprend une dimension descriptive (les faits, les événements, les acteurs), une dimension explicative (idées, notions concepts et arguments, causes/conséquences ?)
Dans l’idée des auteurs (historiens) de cette partie du programme, il faut faire passer l’élève d’une attitude passive (intellectuellement) à une position d’auteur de l’histoire. Il traite ainsi des sources, des documents (ce qui n’a plus rien à voir avec une lecture guidée par une succession de questions) dans le but de construire un récit à propos d’une question ouverte, qui va permettre de construire la mise en intrigue. L’élève doit lors d’une tâche complexe, communiquer (à l’écrit non pas pour écrire, et à l’oral non pas pour parler, mais pour faire passer un message) en faisant passer les enjeux et les aspects d’une question à un public, méconnaissant le sujet. (Exemple : raconter la fondation légendaire de Rome.)

Le récit en classe peut avoir plusieurs aspects et plusieurs modalités :

La réapparition du récit dans la classe, dans une forme épistémologiquement fondée, justifie de construire des récits cohérents par le professeur et d’en faire construire aux élèves en respectant les règles de construction ou faisant analyser et identifier comme tel un récit historique. Le récit conduit à revaloriser le texte ou le discours construit qui raconte l’histoire …et à acquérir les compétences « raconter et expliquer » et « décrire et expliquer »

3 postures pour « raconter » : lecture / écriture / audio-vision

3 acteurs : le prof, l’élève, le medium (intervenant / audiovisuel …)

2 situations : orale et écrite

Le récit du prof : un éclat du récit, l’incarnation de l’histoire comme construction du savoir.
Le récit ici est utilisé comme illustration. Il est interrogé de manière déductive et peut en deuxième temps être utilisé comme « document » dans la construction du savoir ainsi que de la sélection d’informations …

La progressivité des différents niveaux du récit (en prenant l’exemple du récit de la fondation de Marseille par les Phocéens (6°) : les élèves sur ce travail, guidés par leur prof, sont en posture de produire du récit ou d’interroger le récit …)

1. Le récit factuel : Avec un objectif de maîtrise de la chronologie … On va raconter le périple des Phocéens, en insistant sur le « où », le « quand » et en exposant « un fait ». Les « mots du Français » utilisés ici sont « d’abord/Ensuite/Puis … »
2. Le récit explicatif : on inclut ici le récit des connaissances visées par les objectifs de la leçon … On va insister sur la notion de « cité » et la localisation … Les « mots du Français » utilisés ici sont « c’est pourquoi/ ainsi … »
3. Le récit analytique. On aborde le coeur de la leçon … Ici on analyse le concept de colonisation … . Les « mots du Français » utilisés ici sont « selon, car, donc … »
4. le récit critique : niveau inabordable pour les élèves avant la 4° mais qui doit l’être en collaboration avec le professeur dès la 6° Pour l’étude de Marseille, on va confronter le mythe avec la réalité … . Les « mots du Français » utilisés ici sont « Cependant, par ailleurs … »

La construction du récit par les élèves :

- La narration : Mise en ordre d’informations de sources diverses comme avec l’enfant à Rome dans le programme de 6° pour faire découvrir la République romaine en interrogeant un récit fictif … Ici nous sommes en présence d’un récit de type historique ou croisé avec le Français dans le genre autobiographie fictionnelle … reste à définir l’activité des élèves car nous sommes loin ici de la rédaction de la petite phrase de conclusion du programme
- La composition : Après un questionnement sur des documents et la mise en évidence de « mots clés » rédaction d’un petit paragraphe sur un thème précis : ex : Les Grandes Panathénées en 6° ou la crise de la monarchie en 4°

Ici nous sommes dans le récit de l’histoire problématisée avec un récit argumentatif (justifications)
3. Approche pédagogique : quelques pistes

Vous trouverez sur le lien ci-dessous une progression, en huit paliers, dans l’apprentissage du récit en histoire, dans un niveau charnière en collège : la 5°, travail établi en collaboration avec Véronique Ponton. Vous y trouverez également un diaporama sur un de ces paliers : la construction du récit de la chevauchée de Jeanne d’Arc

http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/hg/articles.php?lng=fr&pg=146

4. Bibliographie / sitographie

Le récit en Histoire (parmi de nombreux ouvrages et articles)
PROST Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, 1996.
RICOEUR Paul, Temps et récit, tomes 1- 2- 3, poche 1991.
VEYNE Paul, Comment on écrit l’histoire?, Point Seuil, 1978.
DE CERTEAU Michel, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975
MONIOT HENRI, Didactique de l’Histoire, Nathan pédagogie, 1993
CARIOU Didier, Références à l’épistémologie de l’histoire et des sciences humaines dans deux recherches en didactique de l’histoire : http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/formations/journees-d-etude-didactique/journees-d-etude- didactique-2007/jed2007_pdf/cariou.pdf
Fiche de Temps et récit de Paul RICOEUR: http://digression.forum-actif.net/ricoeur-f26/l-intrigue-et-le-recit-historique-temps-et-recit-i-t139
Le récit en français
Le récit en français : le schéma narratif http://emile.simonnet.free.fr/sitfen/narrat/narr0001.htm

Vade-mecum des capacités en histoire-géographie-éducation civique : Raconter / Décrire

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