dimanche 28 mai 2017

Compte-rendu de soutenance de thèse en didactique de l'histoire - Italie



Compte-rendu de soutenance de thèse en Didactique de l’Histoire


Candidate : Maria Lucenti
Université de Genova – Italie
Sous la codirection des professeurs : Anna Antoniazzi & Mokhtar Ayachi


Titre : Une autre histoire : le monde arabo-musulman et l’Occident
dans les manuels italiens et tunisiens


Cette thèse comprend cinq chapitres, dont deux traitent du regard croisé de l’altérité, vu réciproquement, à travers les grilles des manuels scolaires en usage dans les deux pays méditerranéens : l’Italie et la Tunisie.

Après un premier chapitre méthodologique justifiant le choix du sujet et présentant sa problématique, la candidate consacre un second chapitre à l’aspect pédagogique et didactique de l’interculturel dans une société italienne plurielle. Enfin, un dernier chapitre est réservé au croisement identité/altérité,  au niveau du référentiel féminin en Tunisie, avant de présenter par la suite les résultats de sa recherche.

Maria Lucenti commence par se poser la question sur « le comment les manuels scolaires en Italie se représentent-ils le monde arabo-musulman » en justifiant sa problématique de recherche. Et ceci pour trois grandes raisons :

    - la première liée à la présence dans les écoles italiennes d’élèves musulmans nés en Italie,
   - la deuxième liée à la présence d’un Islam européen balkanique notamment ainsi que les échanges culturels historiques qu’on ne peut nier entre les civilisations européennes et l’Islam (Andalousie, Sicile et ailleurs)…
    - la troisième et dernière raison est liée au phénomène de l’extrémisme religieux, impliquant la Tunisie à partir des événements de 2011 au Sud de la Méditerranée.

            Maria Lucenti tente d’éclairer dans son travail les causes de ce phénomène dans les corpus scolaire qu’elle analyse. Mais il y a d’autres réalités et d’autres hypothèses non moins importantes dont nous en présentons au moins deux :

1 – Il y a un grand amalgame entre religion, extrémisme et violence, tout en sachant que les trois religions monothéistes incitent à la paix et à l’amour du prochain. Mais il s’agit plutôt d’usages religieux et idéologiques de partis politiques islamistes à dénoncer. La cause n’est pas à chercher réellement dans les manuels scolaires. Elle se situe ailleurs…

2 – A la faveur de la chute du régime dictatorial en Tunisie en 2011 et de l’accaparement du pouvoir pendant trois ans  (entre 2011-2014) par le parti islamiste et ses alliés (la Troïka) après le retour d’exil de leurs cadres, des réseaux internationaux d’expéditions de milliers de jeunes mercenaires (garçons et filles aussi bien européens qu’arabes), vers la Syrie, l’Iraq et la Libye ont été mis en place avec l’aide de la Turquie d’Erdogan, du Royaume wahhabite et du Qatar notamment. Comme en Afghanistan à l’époque, en Bosnie et autres pays balkaniques, à la fin de la Guerre Froide, les guerres par procuration se préparent d’abord par l’endoctrinement de jeunes mercenaires recrutés notamment chez les jeunes chômeurs diplômés. Tous les alibis et autres légitimations de prostitutions religieuses (Jihad Nikah) sont mobilisés comme objet de recours pour la réalisation de telles campagnes abjectes.

Il s’agit donc d’une véritable coalition, mettant en connexion des intérêts stratégiques occidentaux avec ceux de l’Internationale des Frères Musulmans, qui a tracé une « autoroute du Jihad » (transeuropéenne via la Turquie), provoquant l’internationalisation d’une guerre civile destructrice entre Chiites et Sunnites, notamment dans les deux premiers pays cités. L’on ne peut logiquement imputer ces desseins politiques d’envergures internationales (mettant en confrontation l’Iran Chiite et ses alliés syriens et libanais contre le Royaume sunnite d’Arabie et  autres monarchies pétrolières), aux manuels scolaires et à l’institution éducative, elle-même, « accusée de produire de jeunes Jihadistes », plutôt que de futurs citoyens !

Par ailleurs, après les dernières élections en Tunisie de 2015 et l’élimination des islamistes et de leurs alliés du pouvoir, il y a eu la création de Commissions d’enquêtes parlementaires sur les responsabilités des crimes d’endoctrinement de jeunes, de leur financement et leur envoi dans les zones de conflit au Moyen Orient. Nous attendons toujours en Tunisie les résultats de telles enquêtes qui impliquent essentiellement[1] des chefs du principal parti islamiste, aujourd’hui associé au gouvernement…

Depuis la réforme scolaire de 1989 et la loi de 1991 officialisant les nouveaux choix d’épuration des manuels de contenus idéologiquement islamistes qui y ont glissé durant quelques années, nous pouvons considérer que les corpus scolaires ont retrouvé leur orientation moderniste, en rapport avec l’esprit des textes fondateurs du système éducatif national de 1958.

Toutes ces considérations d’histoire immédiate, en rapport avec l’actualité brulante, ne peuvent exclure, bien au contraire, l’intérêt qu’on porte toujours aux manuels scolaires en tenant compte de la construction de l’autre à partir d’analyse croisée de ces supports didactiques aussi bien italiens que tunisiens que tente ici la candidate dans sa thèse.

La recherche de Maria Lucenti se base également sur support empirique d’une enquête réalisée auprès de deux groupes d’élèves et d’étudiants. L’approche comparatiste menée dans ce travail a conduit son auteure vers la didactique interculturelle entre principe et pratiques devant la présence accrue de communautés immigrées en Europe où l’on cherche des solutions d’intégration tout en reconnaissant les spécificités des communautés installées dans les pays d’accueil.

Les finalités de la pédagogie et de la didactique interculturelle est la réalisation de canaux d’échanges et de dialogue dans la diversité culturelle dépassant la simple coexistence communautaire dans la tolérance et le pluriculturalisme.

Dépasser le cadre théorique pédagogique vers la réalisation pratique de l’inter culturalité, c’est ce qu’essaye de démontrer Maria Lucenti en focalisant sur l’usage du manuel en tant qu’outil privilégié de transmission des trois savoirs : savoir scientifique, savoir-faire et savoir-être (valeurs de civiles).

Pour cela, l’auteure de la thèse a passé en revue les plus importantes études et recherches à l’échelle internationale, comme celles d’Agostino Portera, de l’Université de Vérone (2000), de Pierre Giovani (2009) sur le manuel d’histoire en Italie du fascisme à la République, l’importante œuvre d’Edouard Saïd sur l’Orientalisme, les travaux de l’Institut Georges Eckert en 2010 sur les représentations de l’Islam dans les manuels européens qui colportent une même image pour tous les musulmans ignorant les variétés culturelles comme si l’Islam est une culture et non pas une croyance… Une autre étude réalisée par Marlène Nasr (2001) en Italie est citée. Elle montre comment les Arabes sont représentés dans tout ce qui est différent, tout ce qui peut éloigner en tant que stéréotypes (pauvreté, marginalité, ignorance, mode de vie…).

Sur les manuels tunisiens, les travaux de Driss Abassi (2009) et ceux faits ou supervisés par moi-même (2009 et 2010) sont évoqués concernant les référentiels identitaires méditerranéens de la Tunisie.

Au chapitre de l’analyse structurelle des manuels italiens d’histoire, ce qui est frappant est la manière stéréotypée de se représenter le phénomène de l’immigration de cet autre  « désespéré », débarquant de bateaux surchargés, à la manière de cargaisons de marchandises sans valeur.

Les images colportées (p. 98, 99 et 101) ont tendance à associer « immigration, monde arabo-musulman, Afrique, menaces… » provenant de cette Méditerranée qui sépare au lieu d’unir, de cette ancienne courroie de transmission entre l’Afrique, le Moyen Orient et l’Europe. Cette Méditerranée est devenue, de la sorte, la frontière entre la pauvreté et l’opulence, entre le sous-développement, l’archaïsme et le progrès.

Dans sa lecture critique des manuels italiens, la candidate souligne l’absence de contextualisation, des nuances entre l’Islam historique et l’aujourd’hui. Un seul manuel italien « les Voix de l’histoire 2 » (1ère année de l’école supérieure) aborde le thème du monde arabo-musulman de manière relativement impartiale, mais créant toutefois un amalgame entre terrorisme, en tant que phénomène, et l’Islam en tant que religion.

La frontière méditerranéenne érigée par la thèse d’Henri Pirenne, impose une image fossilisée, hors du temps immobile, figée d’un Maghreb et d’un Moyen Orient moyennageux se situant hors de l’histoire… Certains manuels comme « Les Voix de l’histoire et de l’actualité » (3ème année) ou « Géopolis 2 » adoptent un anachronisme historique caricatural en parlant d’une part d’un « monde bédouin archaïque », et de l’autre de « femmes soumises qui ne peuvent pas parfois conduire la voiture » ! ...

En comparant avec une lecture critique croisée de manuels Nord/Sud, M. Lucenti, après avoir retracé l’historique du système éducatif tunisien durant la période coloniale, met le focus sur la Réforme-Charfi de 1989, déjà évoquée, destinée à rationaliser les cursus scolaires et les purger des présupposés idéologiques islamistes considérés comme obstacles à l’ouverture sur les autres civilisations.

En menant une bonne analyse structurelle des manuels tunisiens, l’auteure de la thèse montre le type d’image de l’Europe qui y est présenté, cette Europe en tant que partenaire géographique, économique et culturel. Il s’agit d’analyses pertinentes dans la comparaison entre manuels des années 60 au lendemain de l’Indépendance, avec ceux des 2000. Les points forts ainsi que les points faibles de ces manuels (au niveau des contenus, forme, qualité d’impression) sont évoqués.

Enfin dans un dernier chapitre du travail, la candidate traite du référentiel féminin entre passé et présent  en Tunisie, contredisant les stéréotypes colportés par les manuels en Italie. Il s’agit réellement d’une réflexion pertinente se basant aussi sur des entretiens et où j’ai appris beaucoup de détails sur l’histoire des femmes tunisiennes.

Ce que je recommande ici, au niveau quantitatif de l’équilibre des chapitres de la thèse (qui sera certainement éditée en tant que livre) est de développer davantage cette thématique pour aboutir à un double volume de pages équivalent à celui des chapitres précédents.

Quant aux résultats de la recherche qui concourent à édifier une autre histoire impartiale débarrassée de stéréotypes en brisant cette frontière de l’incompréhension devant plutôt rapprocher davantage l’Occident du monde du Sud de la Méditerranée, ils sont de l’ordre suivant :
- les préjugés colportés en Europe par les manuels scolaires contre les Musulmans empêchent l’intégration sociale et culturelle dans la société d’accueil de jeunes italiens (ou européens) nés dans le pays, de confession musulmane,
2 – les risques de non reconnaissance culturelle seraient responsables de réactions violentes et d’extrémismes religieux, contribuant à creuser davantage le fossé entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée,
3 – les défis sont doubles autour de la question de la reconnaissance de l’altérité méditerranéenne :
- Édifier au moyen du manuel, support didactique précieux, des rapports constructifs en faisant de la Méditerranée un pont entre l’Orient et l’Occident, entre l’Afrique et l’Europe,
- Combattre les stéréotypes sur l’altérité qui empêchent de construire une société italienne interculturelle, conformément d’ailleurs aux recommandations officielles. En effet, le multiculturalisme ne peut mener que vers le communautarisme, source de tensions sociales permanentes.

Enfin, en guise de perspectives, Maria Lucenti avance quelques pistes de recherche des deux côtés de la Méditerranée (aussi bien en Tunisie qu’en Italie). Ce sera son futur itinéraire de  recherche qui fera d’elle une spécialiste de la didactique de l’interculturalité, non seulement en Italie, mais aussi de l’interculturalité méditerranéenne. Et là, je ne peux qu’être très satisfait d’avoir contribué à sa formation.


Genova, le 26 avril 2017


[1] Il y aurait également d’autres responsables appartenant à d’autres partis…

Conférence présentée à l'Université de Genova le 27 avril 2017 sur la question de l'altérité méditerranéenne...



Università di Genova  -  Scula di Scienze sociali
Dottorato di ricerca « Migrazioni e processi interculturali »

Convegno
« Construire Comunità interculturali: le sfide nei contesti, sociali, educativi e sanitari »
 (Genova, 27 aprile 2017)
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L’altérité  méditerranéenne (occidentale) dans les cursus d’Histoire
 scolaire en Tunisie : une ambivalence didactique ?

Mokhtar AYACHI
Professeur à l’Université
de Tunis-La Manouba

Introduction
                                                                        
Dans sa préface à l’Orientalisme d’Edward Saïd, ouvrage paru en 1980, le philosophe français et historien des idées, d’origine bulgare, Tzvetan Todorov (1939-fév. 2017), soulignait que « L’histoire du discours sur l’autre est accablante. De tout temps les hommes ont cru qu’ils étaient mieux que leurs voisins. Cette dépréciation a deux aspects complémentaires : d’une part, on considère son propre cadre de référence comme étant unique, ou tout au moins normal ; de l’autre, on constate que les autres, par rapport à ce cadre nous sont inférieurs. On peint donc le portrait de l’autre en projetant sur lui nos propres faiblesses ; il nous est à la fois semblable et inférieur. Ce qu’on lui a refusé avant tout, c’est d’être différent .... »

  Fondées sur une différenciation marquée entre l’ « identité spatiale »[1] et l’ « altérité spatiale», les disciplines sociales et humaines, dispensées dans l’enseignement du second degré en Tunisie, intègrent le « rapport à l’autre » (avec les valeurs communes ou en partage) à travers les représentations variées des espaces culturels.

Dans ce sens, l’Europe occidentale, méditerranéenne notamment, occupe une importance considérable dans les programmes et manuels d’histoire où l’approche chronologique et thématique embrasse une histoire non seulement régionale mais quasi mondiale. Les deux rives de cet espace commun, lié aux choix identitaires nationaux, sont saisies dans une perspective longue d'accumulations, d'échanges et d'interaction avec le monde en général et avec l’aire arabo-musulmane en particulier.

I -  L’occident méditerranéen en histoire scolaire au collège et au lycée

Au niveau quantitatif, l’analyse des manuels d’histoire des différents niveaux d’enseignement, montre qu’environ la moitié des leçons est réservée à l’espace occidental de la méditerranée. Celui-ci embrasse, temporellement, toutes les époques : de l’antiquité jusqu’au 20ème siècle. Cet intérêt particulier pour l’altérité européenne méditerranéenne est tout à fait légitime, eu égard au rapport à un espace géopolitique et culturel marquant profondément l’histoire de cette région civilisationnelle.
  
Au niveau des contenus, l’espace géo historique et géopolitique de l’Europe occidentale retenu par les programmes, englobe, en général, les pays de l’Europe occidentale ainsi que les pays de la rive nord méditerranéenne. En revanche, la présence d'autres pays européens, notamment ceux de l’Est, reste fort timide.

D’une façon générale, programmes et manuels accordent une priorité à l’étude des civilisations et des sociétés européennes dans leurs espaces. La démarche adoptée est un cadrage politique préliminaire débouchant sur l'étude des aspects économiques, sociaux et culturels et sur les rapports avec la rive sud de la méditerranée.

L’aire européenne se taille une place importante à travers les pages des manuels scolaires: Plus de la moitié des programmes scolaires d’histoire (au collège et au lycée[2]) est réservée à des questions touchant l’altérité. Cette part s'élève même à près des 2/3 pour la 3ème année secondaire et aux 3/4 pour la dernière année du collège.

Ce choix s’explique par l’importance des rapports historiques existant entre ces entités politiques et les pays arabo-musulmans, notamment maghrébins. De tels rapports ont d’ailleurs marqué profondément toute l’histoire du bassin méditerranéen.

Sur le plan chronologique, les programmes traitent de l’histoire européenne, depuis l’antiquité jusqu’aux temps modernes et contemporains. Pour chaque période, des événements politiques et certaines crises et mutations économiques et sociales majeures, sont privilégiés.

C’est la période moderne et contemporaine (entre le 16ème et le 20ème siècle) qui est la plus développée et la mieux étayée à travers quelques questions incontournables, telles que la Renaissance, les Lumières, la Révolution française, la Révolution industrielle, l'Expansion coloniale, etc…

 Il s’agit, précisément, de tout l’héritage des Lumières et de la Modernité influençant l’élite qui a édifié la Tunisie indépendante et inspirant l’essentiel de ses choix politiques et sociétaux.

Pour la période classique (médiévale), l'étude se focalise essentiellement sur le Maghreb musulman et ses dimensions spatiales et identitaires.

    II - Mouvements de voyageurs, mouvements d’idées, mouvements de commerce

Au niveau de la nature de ces rapports rive-sud/rive-nord de la Méditerranée, les contenus n’ont pas manqué d’alterner échanges et conflits :

-  Au registre des échanges :

        Tout en s’arrêtant sur les moments de rivalités qui ont jalonné l’histoire politique méditerranéenne, l’histoire scolaire n’a pas manqué d’insister sur les échanges commerciaux et le dialogue civilisationnel entre les deux rives de la Méditerranée à travers l’histoire : Carthage est mise en exergue en tant que puissance commerciale méditerranéenne. Il y a aussi la Tunisie à l’époque romaine, les influences de la civilisation arabo-musulmane sur l’Occident chrétien,

C'est dans ce cadre, précisément que nous constatons une mise en valeur de l’apport de la civilisation arabo-musulmane et de sa contribution à la Renaissance européenne, fait historique, longtemps occulté en Europe.

 Ibn Rushd (Averroès), par exemple, représente l'une de ces figures emblématiques de cette contribution à la Renaissance intellectuelle européenne. Ses travaux faisant autorité, à l’époque, étaient fortement prisés dans les universités occidentales jusqu’au 17 ème siècle.

Cette influence arabo-musulmane se fait aussi sentir sur le plan linguistique, car les langues européennes ont emprunté beaucoup de mots au lexique arabe. Le manuel de 8ème année (avant dernière du collège) illustre cet échange fructueux à travers un tableau récapitulatif des mots d'origine arabe fréquemment utilisés dans les langues européennes.

 C'est le cas des mots; Chèque, Magasin, Douane (en français), Acequia, Noria, Azud (en espagnol), Centaro, Rotolo, Caffisu (en italien), Vissel (en allemand)[3], etc…  Ces exemples montrent clairement une volonté d’affirmation de soi, conformément aux Instructions officielles qui insistent sur la fierté de l’héritage arabo-musulman et de l’appartenance à son aire civilisationnelle

    
 Il en ressort une présentation des cursus qui privilégie deux dimensions fondamentales : la forte interaction entre le politique et le culturel dans l'appréhension de l'évolution historique des sociétés et l'importance des échanges divers entre les différentes civilisations des deux rives du bassin méditerranéen.
         
     Au niveau des référentiels historiques de la construction politique européenne, les grands personnages politiques et les grandes figures scientifiques qui ont marqué le cours de l’histoire de l’Europe, sont mis en exergue dans les textes et l’iconographie des manuels, notamment les artisans de la démocratie athénienne (Solon, Clisthène, Périclès), les philosophes des Lumières (Montesquieu, Rousseau, Voltaire, Diderot).

L’Europe est appréhendée, surtout à l’époque moderne et contemporaine, comme une référence pour la modernité (valeurs de citoyenneté et de liberté) et un modèle civilisationnel au niveau des choix sociétaux à venir, en opposition à d'autres modèles géopolitiques nationalistes ou ultranationalistes. 

- Au registre des conflits historiques :

          Certains événements majeurs, marquant l’histoire de la Méditerranée depuis l’Antiquité, sont mis en relief, mais toujours dans une approche se voulant historique et dépassionnée, tels que :

- les guerres puniques entre Rome et Carthage,
- la confrontation entre le monde arabo-musulman et l'Europe chrétienne au Moyen-âge, pendant les croisades, la Reconquista…
-  le confit entre l’Espagne catholique et l’Empire ottoman en Méditerranée,
-  l’expansion coloniale à partir du  19ème siècle,
- la Grande Guerre, la crise des années trente, la montée du fascisme, la deuxième Guerre mondiale, la Guerre froide, la  décolonisation, etc…

          L’altérité est appréhendée ici dans les contextes historiques d’époque mettant en rapport des intérêts antagonistes prenant des dimensions expansionnistes parfois religieux, parfois économiques, parfois stratégiques. Cependant, ces cursus d’histoire insistent, même lorsqu’il s’agit des croisades et de leurs lectures en tant que phénomène historique dépassionné, sur le « rapport à l’autre » des deux côtés, en tant qu’apports ou « gains » en termes culturels et techniques.

          Même l’expansion coloniale, elle est saisie, en tant que phénomène historique,  à travers une approche critique d’une rencontre souvent violente, certes, mais exprimant également l’habileté du mouvement de libération nationale qui a su exploiter les contradictions internes du fait colonial français lui-même. En effet, celles-ci sont bien visibles en réalité dans les contenus scolaires, qui charrient des valeurs modernistes antinomiques avec la réalité coloniale. Ces valeurs libérales, imprégnant les élites tunisiennes, ont bien servi d’ailleurs, à travers plusieurs étapes des 75 années de domination, la construction du projet national de libération ainsi qu’à la confection du projet de société de la Tunisie indépendante.
   
Conclusion

     Marqué par une forte neutralité scientifique, le savoir historique proposé dans les cursus scolaires encadre et distille rigoureusement les représentations sur l’Europe méditerranéenne et contrôle, par les comparaisons et le croisement des points de vue, des stéréotypes qui peuvent y apparaître. L’image de l’Européen incarne encore dans les diverses représentations des élèves des paradoxes : modernisme, liberté mais oppression coloniale, voire racisme à la fois.  

      Pourtant, l’européen, acteur individuel, historique ou social, n’apparaît que rarement en tant que tel dans ces cursus. Les concepteurs des manuels tiennent à l’attitude d'impartialité, tout en se focalisant sur les grandes dynamiques de changements économiques et sociaux qui ont marqué le monde, dont l'Europe méditerranéenne occidentale est partie prenante.

En somme, les manuels scolaires tunisiens, objet du corpus historique étudié, valorisent une image complexe, voire ambivalente de l'Europe et de l'européen méditerranéen, mettant en présence deux entités : l’identité et l’altérité dans un contexte d’échanges et de conflits (de voisinage), aboutissant toutefois à un fond commun civilisationnel et humaniste en partage.

Enfin, malgré l’ouverture de l’enseignement de l’histoire, sous les auspices des Nations-Unies, après le second conflit mondial, sur sa troisième fonction épistémologique, représentée par les valeurs universelles et la science en partage entre l’identité et l’altérité, les stéréotypes concernant l’autre sont encore vivaces dans les cursus scolaires, notamment en Occident.

Cependant, la tendance aux replis identitaires, enregistrée depuis ces dernières décennies au sud de la Méditerranée, conséquences de l’incompréhension et du développement des sentiments xénophobes, commence à affecter le rapport à l’altérité du côté des deux rives. Mais est-il du devoir des sciences humaines et sociales de contribuer largement à impulser davantage les débats sur l’interculturalité pour une reconnaissance mutuelle de l’humain dans sa diversité, gage de paix sociale et de valeurs citoyennes.

Par ailleurs, l’assimilation des identités culturelles, produit de courants migratoires contemporains provenant du sud de la méditerranée, représente-t-elle pour les pays riverains du nord, l’antidote aux dangers de formation, sur leur sol, de phénomènes de communautarismes ? Le projet de construction de communautés interculturelles, nécessite-t-il un travail sur l’évolution des représentations de ou des altérités ? En effet, celles-ci devenant, de fait, une composante de l’identité (nationale) collective, contribuent ainsi à l’enrichissement du fond culturel commun. Les défis culturels, pour la réalisation de tel projet d’intégration, passent nécessairement par l’éducation (ou la rééducation) à tous les niveaux de la vie quotidienne, impliquant d’abord le « vivre-ensemble ». Les mutations culturelles, y compris celles des mentalités, est une opération générationnelle qui se réalise dans la durée.


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Annexes :

Annexe 1
Programme d’Histoire en 8ème année (de l’enseignement de Base)
(2ème année collège)
Chapitres
Contenus
Observations
Horaires
Le monde arabo- musulman du 10e au 16e siècle
-Tentatives d’unification du Maghreb et de l’Andalousie
- Ifriqiya à l’époque Hafside
- les influences de la civilisation arabomusulmane sur l’Occident chrétien

- insister sur la tentative des Almohades
- Histoire politique et civilisation
- Rôle du commerce et des croisades
- Influences scientifiques et culturelles
7 à 9 Heurs
L’Europe occidentale : de la Renaissance à la Révolution industrielle
- la Renaissance européenne 
- le Révolution française
- la Révolution industrielle
- les facteurs de la Renaissance y compris les grandes découvertes
-Humanisme et renaissance artistique
- Les causes, en insistant sur la philosophie des Lumières
- Les conséquences : chute de l’Ancien régime et déclaration des droits de l’homme et du citoyen
- Progrès technique et scientifique et révolution des transports
- conséquences économiques et sociales 
5 à 7 Heurs
La Tunisie : de l’époque ottomane à  l’établissement du Protectorat français
- Evolution politique de la Régence de Tunis du 16e siècle jusqu’à la fin du 18 siècle
- la Tunisie  au 19e siècle
- L’établissement du protectorat français en Tunisie
- Evolution politique
- la Tunisie à l’époque de Hamouda Pacha (Husseinite)
- Les crises du 19 siècle
- le mouvement réformiste
- les expéditions militaires
- le traité du Bardo et la Convention de la Marsa
- Les premières réactions contre l’occupation


Annexe 2
Programme d’Histoire en 3e année secondaire : « Les mutations du monde moderne et contemporain »
(avant dernière année du lycée)
Chapitres
Contenues
Observations
Horaire
L’Europe et le monde méditerranéen au 16e siècle
- la Renaissance européenne
- les grandes découvertes géographiques et leurs conséquences.
- les manifestations de la Renaissance (étude d’un personnage ou d’un œuvre)
8 à 10 heures
- l’Empire Ottoman
- Crise de la dynastie Hafside et conflit hispanico- Turque en Méditerranée
- Expansion et organisation de l’empire
- Manifestation de la crise
- Conflit hispanico- turque et établissement des Ottomans en Tunisie
Les Mutations du monde occidentale au 17e et 18e siècle
- les mutations économiques de l’Europe occidentale : l’exemple anglais
- le mercantilisme et les prémices de la révolution industrielle
6 à 8 heures
Les Lumières
- Philosophie des Lumières (étude d’une œuvre, exemple : l’Encyclopédie)
- La Révolution française
- Causes et conséquences
L’Empire  Ottoman et le Maghreb arabe au 18e siècle
- le crise de l’Empire Ottoman au 18e siècle
- Crises et premières tentatives de réformes 
6 à 8 heures
-Evolution politique des pays du Maghreb au 18e siècle
- Evolution politique au 18e siècle
- la dynastie Husseinite au 18e siècle : pouvoir et société  
La révolution industrielle et l’assise d’une économie capitaliste au 19e siècle
- Révolution industrielle et ses conséquences
- la révolution industrielle
- les mutations économiques et sociales
- les nouveaux courants politiques et intellectuelles
6 à 8 heures
- l’expansion coloniale et le partage du monde
- rivalités entre puissances coloniales
- carte du partage du monde
Renaissance arabe et évolution de la Tunisie au 19e siècle
- Renaissance arabe moderne
-Origines et aspects de la Renaissance
6 à 8 heures
- Evolution de la Tunisie au 19 siècle
- Crises et tentatives de réformes
- Etablissement du Protectorat français et réactions nationales jusqu’en  1914

Sources :
1-       Sources Bibliographiques :
Audigier François, « Histoire de stéréotypes, stéréotypes sans histoire » Paris : « Le cartable de Clio », n°5 2005, pp.  67-77.
Ayachi Mokhtar, (s. direction), Circulation des savoirs et institutions d’enseignement dans l’espace arabo-méditerranéen, Tunis : Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités, 2017, 463 p.
Béji Hélé, « La Pédagogie des lumières ou la réforme du système éducatif tunisien » in Kodmani-Darwish B. et Chartouni-Dubarry M. Les Etats arabes face à la contestation islamiste, Paris : Armand Colin, 1997,  pp.255-269.
Braudel, F. : Grammaire des civilisations, Paris : Flammarion, 1993, 625 p.
Choppin, A. 1992 : Les manuels scolaires : histoire et actualité,  Paris : Hachette, 1992, 224p.
Chupin, J. , « L’Orient  à l’Ouest dans les manuels scolaires » Paris : « Le Monde de l’éducation », septembre, 2004, 54-55.
Collectif d’auteurs, Les Communautés méditerranéennes de Tunisie, Hommage au Doyen Mohamed Hédi Cherif, Tunis, CPU, 2006, 508 p.
Frank R., « Qu’est-ce qu’un stéréotype ? », in J.N. Jeanneney (dir), Une idée fausse et un fait vrai : les stéréotypes nationaux en Europe, Paris : Odile Jacob, 2000, pp. 17-26
Gautschi, P. & Biennenkade, A. « Les fonctions des images dans le manuel d’histoire », Paris : Le cartable de Clio, 6, 212-225.
Nasr, M.  Les Arabes et l’Islam, vus par les manuels scolaires français,  Paris : Karthala ; Hamra-Beyrouth : Center for Arab Unity Studies, 2001
Nese, I. l’Islam dans les manuels scolaires allemands : exemples tirés de la géographie et de l’histoire. Perspectives, 128 (Dossier « Éducation, une passerelle pour le dialogue euro-arabe ? »), 2003
Todorov T.,  Nous et les autres, Paris : Seuil, 1989, 452 p

2-       Sources en ligne (Wébographie)
Achmaoui, F. (s.d.). « L’image de l’autre dans les manuels d’histoire de certains pays méditerranéens (Espagne, France, Grèce, Égypte, Jordanie, Liban et Tunisie »   in http : //www.isesco.org.ma/Islam.Today/FR/13/P6.html.
Bouayed, A. (2004). « Le monde arabe : mots et images dans les manuels scolaires de la France laïque » in http://www.islamlaicite.org/article202.html).
Blanc, A. Images de l’Autre dans les manuels scolaires d’Histoire et de Géographie des années 1950 au début des années 1980 - Vision d’une génération ? , N° 04. Institutionnalisation de la xénophobie en France, mai 2008, Revue Asylon(s), in http://www.reseau-terra.eu/article746.html)

   3- Liste des manuels scolaires utilisés (dont la langue véhiculaire est l’arabe) :

- Manuel des matières sociales (Histoire, Géographie, Education civique), 7 ème année de l’enseignement de base, Tunis, CNP, 2005.
- Manuel des matières sociales (Histoire, Géographie, Education civique), 8 ème   année de l’enseignement de base, Tunis, CNP, 2006.
- Manuel des matières sociales (Histoire, Géographie, Education civique),   9 ème année de l’enseignement de base, Tunis, CNP, 2007.
- Manuel d’Histoire, 1 ème  année Secondaire, Tunis, CNP, 2003.
- Manuel d’Histoire, 2 ème  année Secondaire, (Lettres et Economie), Tunis, CNP, 2005.
- Manuel d’Histoire, 2 ème  année Secondaire, (Sciences et Technologie), Tunis, CNP, 2005.
- Manuel d’Histoire, 3ème  année Secondaire, (Lettres et Economie), Tunis, CNP, 2006.
- Manuel d’Histoire, 3ème  année Secondaire, (Sciences et Technologie), Tunis, CNP, 2006.
- Manuel d’Histoire, 4ème  année Secondaire, (Lettres et Economie), Tunis, CNP, 2007.


[1] Les « espaces de l’identité » sont ceux qui traitent  de l’histoire et de  la géographie régionale et nationale de la Tunisie dans « son environnement culturel » indiqué par les programmes (le Maghreb, l’Orient arabe, le Monde arabe). 
[2] voir annexes
[3]Manuel d'histoire de la  8ème année (de l'enseignement de base), p. 35.