Compte-rendu de soutenance de mémoire
de Mastère de recherche en
Didactique de l’histoire
______________
Sujet : L’enseignement de l’histoire
& la conscience historique des collégiens en Tunisie
Candidat : Mabrouk Arfaoui
Directeur de recherche : Pr Mokhtar Ayachi
Lieu : Institut Sup. de l’Education & de la
Formation Continue (Univ. Virtuelle de Tunis)
Date : 28 Septembre 2017
Mention : Très bien
Ce mémoire, traitant du rapport de l’enseignement de
l’histoire avec la formation ou l’acquisition de la conscience historique par
les élèves au niveau du collège (en Tunisie), comprend trois parties, en un
volume de 175 p :
- la première est réservée à l’état des
lieux de la question de l’enseignement-apprentissage de l’enseignement de l’histoire
au collège et à son rapport relatif avec l’acquisition de la conscience
historique chez les jeunes apprenants,
- la seconde est consacrée à la visite du
savoir savant traitant de ce paradigme des finalités de
l’enseignement-apprentissage au delà de la question de l’appropriation du
savoir historique. L’état du savoir de référence devait servir de modèle pour
guider la réflexion sur une thématique qui n’a pas fini d’intriguer les
chercheurs en didactique de l’histoire.
- Enfin la troisième partie traite du
cadre empirique de la recherche formé non seulement d’enquête menée auprès
d’enseignants et d’élèves de deux régions différentes (intérieur du pays et une
région côtière), mais aussi d’observations de classes menées par le candidat
auprès de ses collègues.
Une bibliographie (et notamment la wébographie) est bien fournie en travaux
académiques récents. Une trentaine de divers tableaux ainsi qu’une dizaine de
graphiques et autres schémas soutiennent l’analyse et argumentent la réflexion.
Plusieurs documents officiels et autres relatifs aux enquêtes de terrain,
viennent compléter le corpus de la présente recherche.
Quelle est tout d’abord la problématique
avancée dans ce travail ?
Il s’agit ici de la question de la
conscience historique impliquant deux partenaires du processus
enseignement/apprentissage : l’enseignant et l’élève du collège. Quelle
compétence à articuler les trois temps : passé, présent et futur au niveau
de la gestion du savoir historique ? Y a-t-il une finalité explicite ou
même implicite ?
Cette question cruciale a été d’ailleurs
soulevée par l’inspecteur d’enseignement primaire Ahmed Sfar dès 1955 dans une
réflexion publiée alors dans la revue « المربّي » dont
voici un extrait, à titre indicatif :
..."لا بدّ من إظهار ما في تعليم التّاريخ بالأساليب العتيقة من الأضرار
والأخطار، فهو معاكس للأهداف التّربويّة... فلنتساءل ماذا يتبقى بعد
الانتهاء من الدراسة ممّا هو تاريخي بأتمّ معنى الكلمة، فهل نجد في حافظة التّلميذ
فكرة جليّة حول الحوادث الماضيّة ؟ وهل تكوّن فيهم ... ما يمكن أن نسمّيه بالحاسّة
التاريخيّة ؟
إن التّاريخ التّقليدي قد نشأ وتكوّن من أنباء الجبابرة والرجال العظام، ومن سرد
الحوادث المتتابعة والأخبار اليومية... أمّا الشعب، فهو لا يظهر في كلّ ذلك إلاّ
من بعيد ... ومع ذلك، فان الشّعب وجد وعاش... وهو من أوّل الدنيا الحافظ للحضارة
والمؤتمن عليها بل هو الذي أنشأ التمدّن... وهو الذي نمّى الحضارة وقوّاها... فهو
مادة التاريخ الحقيقي... فكيف نرضى بتاريخ لا مادة فيه ولا روح ولا حياة ؟"
Cette pensée rappelle aussi celle de
François Rabelais soulignant dans son œuvre Pantagruel, au 16ème siècle, que « Science sans
conscience n’est que ruine de l’âme » !
Le candidat nous livre ici une réflexion digne d’un grand intérêt, malgré le
fait qu’il s’agit de son premier essai de recherche. La première phrase de
l’introduction est très éloquente : »Pour que l’histoire réponde à
ses fonctions épistémologiques, son enseignement ne devrait pas être
exclusivement la transmission des connaissances et des informations
historiques. Il doit être aussi éducatif, consolidant la conscience de
l’identité, l’ouverture sur l’altérité en partageant les valeurs universelles
communes.
La conscience historique se présente comme une démarche intellectuelle nécessaire
à l’assimilation de l’histoire et
une compétence à savoir
conjuguer les trois temps ; ce
qui ne manque pas d’influer sur le comportement des élèves, en tant que futurs
citoyens.
C’est le rapport au temps et aux savoirs, du côté enseignants d’histoire au
collège ainsi que le degré d’assimilation chez les élèves, que ce travail cible
en avançant les justifications d’un tel choix de sujet. En effet, légitimant sa
recherche à l’aide d’une bonne démarche méthodologique, le candidat met en
relation les trois moments suivants :
- Observation : à
l’origine de ce travail, souligne-t-il, nous avons exprimé une inquiétude devant la faiblesse du niveau de la
conscience historique chez les collégiens…
- Constatation :
nous avons manifesté notre
étonnement devant certains
indices à l’effet que les habiletés liées à la conscience historique étaient
peu maîtrisées par les élèves, contrairement aux finalités déclarées dans les
textes officiels ;
- Déduction (ou aboutissement) : Mise en
cause de la crédibilité même de l’enseignement de l’histoire »…
Les considérations insistent sur l’importance de la
conscience historique dans l’enseignement de l’histoire, telle que définie par
les textes de la réforme de 2002 ainsi que par les programmes d’histoire
publiés en 2006. Les programmes officiels sont très explicites en spécifiant
dans leur premier paragraphe que « la discipline de l’histoire contribue à
la formation des apprenants en leur enseignant le passé, pour comprendre le
présent et prévoir l’avenir et en leur apprenant les valeurs humaines et la
citoyenneté active ». il s’agit donc de tout un projet civique et
intellectuel.
Mais les enseignants sont-ils au fait de ces finalités didactiques ?
Certainement pas, puisqu’il est toujours question, avec les inspecteurs, de « lourdeurs
de programmes, d’échéances pour les terminer, de contenus à enseigner » en
rapport avec un type d’évaluation axé sur la restitution de savoirs…
Sans s’attarder sur la lecture critique des pratiques traditionnelles ou des
coutumes liées à l’enseignement de l’histoire scolaire au collège, le candidat
essaye, dans ce travail, de proposer comment
construire chez les élèves la conception et l’intelligence du temps
historique ; comment maîtriser la conscience historique à
travers l’articulation des trois temps (passé/présent/futur) ?
Cependant, du type de la pratique enseignante et du degré de compétence dépend
l’assimilation ou non du savoir historique. Autrement dit, du type
d’enseignement de l’histoire dépend le type de son appropriation. S’agit-il
d’une matière à mémoriser ou d’une matière à penser (critique) ? C’est une
dialectique, entre deux compétences, qui s’impose : compétence à enseigner
et compétence à penser. L’une engage l’autre.
Les élèves du niveau de collège sont bien aptes, d’après des études
psychopédagogiques connues, à saisir les modes de pensée historiques en classe.
Tout dépend donc de « nouvelles » coutumes instaurer chez les
enseignants.
Cette constatation forme l’une des
composantes de l’hypothèse principale avancée par le candidat, selon laquelle « l’enseignement de l’histoire
au collège (tel qu’il est pratiqué en Tunisie) est mal adapté pour amener les
élèves à acquérir une conscience historique » et un esprit critique les prédestinant
à jouer leur rôle de futurs citoyens.
Quels sont donc les objectifs et les
attentes déclarés de ce travail ?
D’après le candidat Mabrouk Arfaoui, il
s’agit de savoir comment réduire l’écart entre les objectifs explicites
mentionnés clairement dans les textes officiels de 2002 et 2006 et les
pratiques réelles de classe d’histoire au collège pour améliorer la qualité de
formation des élèves. Pour cela, bien connaître le profil de formation des
enseignants ainsi que l’effet des interventions didactiques en classe
permettrait d’évaluer le niveau de conscience historique chez les élèves et y
agir pour le développer.
Ce travail permettrait ou contribuerait
également à amener les enseignants d’histoire à réfléchir sur leurs pratiques
de classe et à suivre des stratégies aidant les élèves à développer une
conscience historique assimilant les fonctions épistémologiques de l’histoire.
Il s’agit aussi de sensibiliser les inspecteurs d’histoire à s’ouvrir davantage
sur l’épistémologie de la didactique de la discipline et surtout à accorder
l’importance méritée à l’application des textes officiels ainsi que des
instructions qui les accompagnent.
Quels sont les résultats auxquels ce
travail a abouti ?
Une série de déductions méritent ici de
retenir notre attention. Il s’agit des réalités suivantes présentant des
carences au niveau du processus de l’enseignement/apprentissage de l’histoire
au collège ainsi que de suggestions conduisant à y remédier. Il s’agit des
résultats suivants :
1 – la majorité
des enseignants ignore l’objet
même des Instructions
Officielles ainsi que les finalités de l’enseignement de
l’histoire (outre
l’inculcation d’un savoir à mémoriser). Il y a donc une absence du raisonnement
et de la pensée critique.
2 – l’enquête a révélé que l’enseignement de l’histoire, tel qu’il est pratiqué, est inadapté au développement de la conscience historique chez les élèves, parce qu’il n’apprend pas à raisonner.
2 – l’enquête a révélé que l’enseignement de l’histoire, tel qu’il est pratiqué, est inadapté au développement de la conscience historique chez les élèves, parce qu’il n’apprend pas à raisonner.
3 – la nature des pratiques enseignantes dépend du type de
la formation reçue à l’université et hors d’elle (encadrement pédagogique et
didactique) et non de l’expérience de classe. En effet, c’est l’épistémologie
et la didactique qui permettent aux élèves d’apprendre à raisonner le
savoir et non l’expérience pédagogique en elle-même qui se rapporte à la
situation de classe et ne touche pas fondamentalement aux mécanismes de la
gestion des connaissances.
4 – la majorité des enseignants affirment n’avoir jamais reçu une quelconque
formation pour appliquer les nouveaux programmes.
5 – le problème de l’enseignement de l’histoire n’est pas seulement dans
« le quoi enseigner »,
mais surtout dans le « comment enseigner ».
6 – les résultats obtenus confirment l’urgence de repenser
le système d’évaluation centré sur la restitution des savoirs, plutôt que sur
le raisonnement et la critique, conformément aux visées des programmes et des
Instructions Officielles.
Ce travail aurait mérité enfin d’avoir pour horizon, la piste de recherche
suivante à explorer en thèse : « Didactique
de l’histoire & Évaluation des connaissances (au lycée ou collège): quel
déterminisme de postures pour l’acquisition d’une conscience historienne
? »