André Ségal
Historien,
retraité de l’enseignement au département d’Histoire
Université Laval
(1990)
“L’éducation par l’histoire”
Un document
produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole,
professeur de
sociologie au Cégep de Chicoutimi
Courriel: jean-marie_tremblay@uqac.ca
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pédagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/
Dans le cadre de
la collection: "Les classiques des sciences sociales"
Une collection
développée en collaboration avec la Bibliothèque
Paul-Émile-Boulet
de l'Université du Québec à Chicoutimi
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Cette édition
électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de
sociologie au Cégep de Chicoutimi à partir de l’article de :
André Ségal, “L’éducation par l’histoire.”
Un article publié dans le livre sous la direction de Fernand Dumont et
Yves Martin, L'éducation
25 ans plus tard et après ?, pp. 241-266. Québec: l'Institut
québécois de la recherche (IQRC), 1990, 432 pp.
M. André Ségal est
historien, professeur retraité du département d’histoire de l’Université Laval
depuis 1997.
[Autorisation formelle
accordée par l’auteur de diffuser cet article le 15 novembre 2006 dans Les
Classiques des sciences sociales.]
Courriel : Andre.Segal@hst.ulaval.ca
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électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour
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en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’)
Édition
numérique réalisée le 6 décembre 2006 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province
de Québec, Canada.
André Ségal
historien,
professeur retraité du département d’histoire depuis 1997
Université Laval
Université Laval
“L’éducation par l’histoire” (1990)
Un
article publié dans le livre sous la direction de Fernand Dumont et Yves
Martin, L'éducation
25 ans plus tard et après ?, pp. 241-266. Québec: l'Institut
québécois de la recherche (IQRC), 1990, 432 pp.
L'identité :
les racines
L'altérité :
la critique
André Ségal,
“L’éducation par
l’histoire”
Un article publié dans le
livre sous la direction de Fernand Dumont et Yves Martin, L'éducation 25 ans plus tard et après ?,
pp. 241-266. Québec: l'Institut québécois de la recherche (IQRC), 1990, 432 pp.
Nous proposons ici une réflexion sur la
fonction de l'éducation historienne dans la culture des Québécois et
particulièrement sur le rôle de l'école secondaire [1]. Nous ne tracerons pas
l'évolution de l'enseignement de l'histoire depuis 1962, ni son bilan actuel.
D'autres l'ont fait avec précision, optimisme ou ironie [2]. Par contre, nous tenterons de
cerner quelques perspectives, dominées à vrai dire par le problème incontournable
que posent les deux fonctions conférées à l'histoire et pourtant peu
compatibles : renforcer l'identité collective et développer l'esprit
critique. La réflexion sur les fonctions éducatives de l'histoire nous amènera
à nous interroger sur l'efficacité culturelle des pratiques éducatives.
L'enjeu est considérable, dans l'un et
l'autre sens de la « culture ». La culture d'un groupe, son
imaginaire, le système de référence commun qui aide à sa cohésion sociale sont
fortement tributaires du rapport qu'il entretient avec le passé, sous forme de
mémoire ou d'histoire [3]. La culture personnelle, que
j'aime définir comme « aptitude de la personne à dépasser son expérience
propre et son environnement immédiat [4] », se bâtit fondamentalement
par le contact avec les sociétés d'autres temps et d'autres lieux. Dans l'un et
l'autre cas, l'enseignement scolaire de l'histoire pose les premières pierres
et dessine les premières inclinations.
Avant d'aborder fonctions et pratiques
éducatives, il nous paraît utile de répondre à deux questions préalables. L'une
est factuelle : rappeler brièvement quelle place occupe actuellement
l'histoire dans les programmes scolaires. L'autre est théorique :
esquisser le cadre conceptuel dans lequel se situent nos réflexions.
La place de l'histoire est modeste dans la
scolarité des adolescents. Elle est obligatoire en deuxième secondaire, sous le
titre d'« Histoire générale », et en quatrième secondaire, sous le
titre d'« Histoire du Québec et du Canada », selon les programmes
réformés en 1982 par le ministère de l'Éducation [5]. Sur les cinq années du
secondaire, l'histoire occupe obligatoirement en moyenne une heure et un tiers
par semaine, ce qui est sensiblement plus que depuis 1977, mais sensiblement
moins qu'avant [6]. Ces cours d'histoire sont
précédés, en première et troisième secondaire, respectivement parla
« Géographie générale » et la « Géographie du Québec et du
Canada », ils sont suivis, en cinquième secondaire, par
l'« Initiation à la vie économique ». De plus, un nouveau cours
optionnel s'offre en cinquième secondaire, « Le 20e siècle : histoire
et civilisations ». Il répond à un besoin évident, mais on craint que,
dans la grande cafétéria des cours, il ne recueille que peu d'adeptes. Au
niveau primaire, sont prévues des activités d'éveil aux sciences dites
« humaines ». Quant au niveau collégial, l'apprentissage de
l'histoire y est optionnel et très peu suivi ; il ne le sera guère plus
selon la grille qui entrera bientôt en vigueur [7].
Pour esquisser le cercle de référence dans
lequel nous nous inscrivons, il suffira d'indiquer la conception que nous nous
faisons de l'histoire, de la mémoire et de l'éducation.
Il importe d'abord de distinguer
« mémoire » et « histoire ». L'une peut se définir comme le
rapport empirique, pour une grande part irrationnel et implicite, que la
société entretient avec son passé, tandis que l'autre est l'entreprise
rationnelle et explicite d'élucidation de ce rapport [8]. Quel que soit le degré de
scientificité de la production historienne, celle-ci est rationalisée, elle
résulte d'un travail savant dans un cadre institutionnel. Certes, l'histoire
produite par les historiens est un imaginaire construit, mais cette
construction obéit à des règles qui tendent vers l'objectivité, sinon comme
adéquation du savoir à l'objet étudié, au moins comme objectivisation de la
procédure suivie. La construction historienne, à travers bien des avatars, se
matérialise dans les livres d'histoire qui rejoignent le grand public et les
manuels qui pénètrent dans les écoles [9].
C'est assez clair. Par contre la
« mémoire collective » est un concept nécessaire à l'analyse, mais
qui rend compte d'une réalité difficile a saisir, surtout quand on se demande
comment elle se construit [10]. Un des aspects principaux de la
question est d'ailleurs de savoir quel est le rôle de l'histoire dans cette construction,
ce qui revient à poser le problème de l'éducation historique. Pour la clarté du
discours, la distinction entre mémoire et histoire est donc indispensable, bien
que, dans la pratique, la frontière entre elles soit poreuse. De même que
l'histoire contribue à construire la mémoire, la pratique historienne
s'enracine inévitablement dans la mémoire de la société dont elle émane.
Cependant, en raison même de sa prétention
scientifique, l'activité historienne tend à rompre avec ses racines. Elle est
d'abord une composante de la culture savante. On sait d'ailleurs le rôle majeur
qu'elle a conquis, depuis vingt ans, dans cette culture en France et dans les
pays de langue française, au point que certains y voient la réussite d'une
grande stratégie médiatique au service de l'impérialisme des historiens [11]. Il y aurait lieu de s'interroger
sur le sens des succès de cette industrie culturelle de luxe, sur sa portée au
Québec et sur son rapport avec la mémoire et l'éducation.
Pour mettre fin à ces observations préalables,
il nous reste à préciser la portée que nous donnons à
l'« éducation ». L'éducation n'est pas l'instruction. Elle n'est pas
seulement la formation de l'esprit par l'acquisition de savoirs intellectuels.
L'éducation englobe l'instruction mais tend à développer toutes les facultés
par lesquelles l'éduqué s'adapte à l'environnement naturel et social et devient
capable d'y jouer un rôle personnel et conscient. L'éducation est
inévitablement transmission de la culture sociale et donc instrument de reproduction
de la collectivité. Mais elle est aussi nécessairement et prioritairement
construction de la culture personnelle, donc de l'autonomie de l'individu.
Éduquer, c'est conduire hors de soi, hors de l'expérience immédiate, hors de ce
que certains nomment avec délectation le « vécu » personnel. Éduquer,
c'est précisément ouvrir à ce que l'on n'a pas vécu soi-même, à un savoir
extérieur, celui dont on hérite parce qu'il vient des générations précédentes,
celui qu'on emprunte parce qu'il vient d'un monde étranger, parfois tout proche
comme la classe sociale en haut de la pente douce, parfois lointain comme les
pays du Soleil levant. L'éducation est bien entendu plus ou moins large, plus
ou moins ouverte. Mais, dans tous les cas, elle s'oppose à l'« inducation »,
qui consisterait à ressasser le vécu personnel de l'« induqué »,
plutôt que de s'en servir comme d'un tremplin. À l'éducation ainsi conçue, l'histoire
est admirablement adaptée.
C'est pourquoi le problème que nous avons à
considérer dans les pages qui suivent est celui de la fonction de l'histoire
dans l'activité éducative. Cette fonction est indissociable de celle de la
mémoire. En effet, sans même aucune éducation historique, il se transmet des perceptions
de la durée, des représentations du passé et des idées sur le changement
social. Elles charrient habituellement les deux mythes contradictoires de l'âge
d'or et du progrès. Dans cet univers de la rétrospection, l'éducation
historique insère un effort de rationalité, de distanciation, de critique, d'objectivation.
Cette éducation n'en véhicule pas moins des contenus mémoriels. Et - nous
l'avons déjà suggéré - l'enracinement de l'histoire dans la mémoire engendre
l'ambiguïté fondamentale de la fonction éducative de l'histoire : identité
ou altérité. Faut-il que l'éducation historique réponde au besoin
d'identification ou développe la faculté de distanciation ?
L'histoire n'a guère d'application pratique.
Les savoirs qu'elle produit ne sont guère utilisables ni dans les entreprises
ni dans les administrations publiques, en dépit des avancées de la Public
History [12]. Par contre, entreprises et
administrations profitent de la qualité de formation de leurs cadres ;
particulièrement quand ceux-ci ont acquis un certain sens de l'histoire, des
conditions du changement, de la force du temps, et un ensemble de connaissances
de type historien qui assurent et élargissent leur jugement professionnel. Les
grands employeurs éprouvent de plus en plus le besoin d'un personnel doté d'une
forte culture générale, plutôt que de spécialistes dont les techniques deviennent
vite désuètes [13]. En ce sens, les fonctionnements
économiques et politiques bénéficient de l'éducation historique, de la même
manière que le travailleur, le consommateur, le citoyen.
En fait, la fonction sociale de l'histoire se
réduit pratiquement à sa fonction éducative. Le savoir historien ne sert qu'à
ceux qui le détiennent. Nul besoin d'avoir une éducation à la biologie pour
profiter des applications de la biologie, par exemple, en prenant les
médicaments que prescrit le médecin. Nul besoin de connaissances en génie mécanique
pour profiter de ses applications, par exemple, en conduisant une voiture.
Mais, il n'y a pas d'application de la connaissance historique dont on puisse
profiter, si ce n'est en acquérant de la culture historienne.
Il fut un temps cependant où on croyait aux
leçons de l'histoire. A cette époque, on recourait à l'expérience des anciens.
Nous ne pensons pas ici à leur sagesse ou à leurs savoir-faire, mais à cette
confiance qu'on avait dans la possibilité d'appliquer au présent des solutions
qui avaient servi dans le passé ou d'éviter d'appliquer des recettes qui
avaient autrefois failli. Comme si l'histoire se répétait, comme si elle
n'était pas changement continuel, rendant sans cesse inadéquats les
comportements naguère appropriés. En ce temps, l'histoire donnait des leçons et
non seulement des leçons de morale religieuse, civique ou patriotique, mais
aussi des leçons de politique.
Par une sorte de tradition rhétorique,
certains tribuns ont continué jusqu'à de jour d'asséner les « leçons de
l'histoire ». Dans ce genre, le débat référendaire fut une orgie, qui
semble bien dépassée. Le discours que Pierre Bourgault tenait récemment, à
l'ouverture du 26e Congrès de la Société des professeurs d'histoire, manifeste
cette évolution. Il n'y est plus question de leçons du passé qui dicteraient
les choix politiques d'aujourd'hui, mais de la nécessité d'une solide culture
historique pour comprendre les données des problèmes et les différences entre
les situations, les peuples, les cultures [14].
Il n'est dès lors plus question
d'applications pragmatiques de l'histoire suggérées, dans l'intérêt de tous,
aux décideurs de la politique et de l'économie, mais bien de la nécessité pour
chacun d'acquérir un savoir historien qui donne de la clairvoyance au
comportement social. L'intérêt de l'histoire, son enjeu social et, partant, la
première responsabilité sociale de la profession historienne réside désormais
dans la fonction éducative. Sans doute n'est-ce pas la responsabilité première
et directe de chaque historien. La fonction éducative repose sur une recherche
rigoureuse, sans cesse approfondie et reprise à la lumière des connaissances et
des problèmes nouveaux. Cette recherche requiert l'indépendance et la liberté
d'esprit des chercheurs. Il faut donc que des historiens à la pointe de la
recherche puissent se dégager des exigences de l'éducation historique. La
profession dans son ensemble et la plupart de ses membres n'en ont pas moins à
assumer cette responsabilité. Et ils ne le font guère [15].
Or, si elle s'impose grossièrement avec assez
d'évidence pour susciter des consensus distraits, la fonction éducative de
l'histoire est, au Québec comme ailleurs, double et ambiguë. L'enseignant est
déchiré entre les deux pôles. Selon la tradition la plus ancienne mais toujours
très vivante dans le grand public, l'histoire doit fonder l'identité collective,
attacher au passé, enraciner. Mais le public attend aussi de l'histoire, de
plus en plus, et par son discours officiel surtout, qu'elle développe le sens
critique. Est-il possible de remplir simultanément ces deux fonctions ? La
fonction identitaire appelle le « nous » ; elle tend à abolir
les distances, elle conduit à penser que « nous avons été vaincus sur les
Plaines d’Abraham ». La fonction critique appelle l'altérité. Elle invite
à la distanciation dans le jugement. Elle constate que « l'armée, conduite
par Montcalm, a été vaincue sur les Plaines d’Abraham ». Dans le premier
cas, on s'interroge sur l'explication et la portée de ce drame ; dans le
second, on s'interroge sur l'explication et la portée de ce fait.
Les historiens en général et particulièrement
les didacticiens de l'histoire recommandent que l'éducation scolaire écarte la
préoccupation identitaire au profit de la formation critique [16]. Henri Moniot analyse aussi le
« double langage » de l'histoire, mais il le croit incontournable et
« plutôt que de nier cette tension, de croire pouvoir en préserver le
jeune âge », il propose &« entraîner progressivement les élèves à
reconnaître pour ce qu'elles sont l'histoire critique et l'histoire
intériorisée, à vivre consciemment leurs deux jeux, à saisir leurs exigences
différentes et leur lien insécable [17] ». Il a certes raison de chasser
l'illusion d'une éducation historienne purement critique. L'alternative qu'il
indique me semble cependant quelque peu utopique, compte tenu des conditions
d'enseignement et de la formation des maîtres. Il est peut-être possible par
d'autres voies de rendre ces fonctions moins contradictoires. C'est ce que nous
suggérerons plus loin.
Le discours officiel, celui des programmes,
met aussi l'accent sur la fonction critique : « favoriser la réflexion,
affiner le sens critique et développer l'objectivité [18] », « avoir acquis des
concepts et des habiletés relatifs à l'étude de l'évolution des sociétés [19] ». De même, il insiste sur
l'altérité, l'ouverture à l'autre, l'élargissement des horizons :
« avoir développé une attitude d'ouverture et de respect à l'égard des
valeurs autres que les siennes [20] ». « faire preuve
d'ouverture d'esprit à l'égard des valeurs étrangères à la société à laquelle
il appartient [21] ». Et, quand les programmes
proposent la fonction identitaire, ils le font avec modération. Il s'agit, par
exemple, en histoire générale « de développer chez l'élève le sens de
l'appartenance à une communauté élargie [22] » ou en histoire du Québec
et du Canada de « la compréhension de l'évolution de la société québécoise
dans le contexte canadien, nord-américain et occidental [23] ». On précise que
« l'histoire nationale [le mot est lâché] concerne tous les Québécois,
quelle que soit leur origine ethnique, linguistique, sociale ou
religieuse [24] ». Suit l'invitation à
refléter la diversité.
Que nous voilà loin de la célébration de
« la civilisation française et catholique du Canada [25] » qui a prévalu jusqu'au
rapport Parent. Ces programmes sont dans le droit fil de la politique scolaire
énoncée en 1979 par lé gouvernement du Parti québécois où « L'école, foyer
de la culture d'un peuple »est aussitôt précisé par « L'école, lieu ouvert [26] ».
Le discours didactique et le discours
officiel ne traduisent cependant pas toute la réalité ; loin s'en faut.
Les attentes du public et la réponse des enseignants, la coloration de nombreux
manuels et la structure même des programmes du secondaire contribuent encore à
privilégier la fonction identitaire et le savoir mémorisé.
Pour le plus large public, l'histoire est
« histoire de... ». Non pas une démarche de raison, une méthode, une
manière de savoir, mais un objet de savoir, un contenu, une démarche de
mémorisation. Même en première année d'université, c'est un véritable labeur
pédagogique que de faire élucider la polysémie du mot : histoire comme
discipline, comme mode de savoir et Histoire comme Passé, comme objet de savoir.
Le public attend qu'on lui raconte une histoire, son histoire. Il compte que
l'enfant, l'adolescent apprenne « son histoire » à l'école, qu'il
partage la mémoire des générations précédentes, qu'il s'alimente aux mêmes
racines [27]. Les fruits en seront la fidélité
au sentiment d'appartenance, le développement de l'identité collective. Dans
tous les pays, le public associe l'histoire à l'identité collective, tantôt
contre I'État assimilateur, tantôt avec l'État national [28]. Ce n'est pas moins vrai au
Québec, bien que l'identité nationale y soit brouillée par la structure politique.
À ces attentes du public, les maîtres
répondent positivement. Dans certains pays, ils y sont contraints, comme
fonctionnaires, par les contrôles de l'État. Ailleurs, comme au Québec, les
pratiques pédagogiques échappent largement à la surveillance des pouvoirs
publics. Mais les maîtres y partagent, pour la plupart, les sentiments du
public et se mettent volontiers au service de l'identité. Certes les héros
identitaires ont varié selon le temps et les milieux : Saints martyrs,
Patriotes, Pères de la Confédération ; ecclésiastiques, militants
syndicaux, hauts fonctionnaires, entrepreneurs. Et l'évolution de ces héros fut
particulièrement rapide et radicale depuis trente ans. Cette centration de
l'enseignement de l'histoire sur le « nous » collectif est d'ailleurs
soutenue par les manuels dont certains titres sont évocateurs : « À
la recherche de mes racines », « Mon histoire », « Notre
histoire » [29].
En outre, la structure traditionnelle des
programmes du secondaire contribue à privilégier la fonction identitaire.
Histoire générale à treize ans en deuxième année, histoire nationale à quinze
ans en quatrième année [30]. La progression pédagogique
inviterait à l'inverse, du plus proche au plus éloigné, du plus connu au moins
connu, du plus facile au plus difficile. Or, on mène d'abord l'enfant « De
la préhistoire au siècle actuel [31] ». Il couvre des
millénaires, la moitié da la planète et de multiples civilisations. Il
n'applique pas ses premiers rudiments d'histoire aux sources voisines, aux
témoignages accessibles, aux paysages familiers, mais à des mondes étranges et
lointains. On ne s'étonne guère alors que le goût de l'exotisme l'emporte sur
l'apprentissage de l'histoire [32]. Par contre, deux ans plus tard,
quand l'adolescent a mûri, on lui propose l'étude d'une société unique, sur un
espace et dans un temps réduits. Il n'y a pas là progression pédagogique, mais
progression idéologique implicite du moins important au plus important. Ce qui
importe le plus n'est pas l'acquisition progressive d'une méthode, ni la connaissance
de l'évolution des civilisations dans la longue durée, mais bien l'histoire
nationale, l'enracinement identitaire. La structure des programmes dément le
discours des programmes.
Dans la perception des adolescents, le point
de vue théorique des didacticiens, de qui venait sans doute la formulation des
objectifs de programme, l'emporte-t-il sur l'opinion publique, à laquelle
s'ajustent les enseignants et les contenus de programme ? On peut en
douter. D'ailleurs, selon notre expérience, beaucoup d'étudiants qui s'inscrivent
dans les programmes d'histoire des universités ont été préparés à y recevoir un
savoir sûr et sécurisant.
Le type d'identification collective
recherchée dans l'étude historique importe beaucoup. On a tort de percevoir a
priori toute identité collective comme étroitement ethnique, nationale, voire
nationalisante ou nationalitaire. Les groupes s'identifient par des réseaux
complexes et hiérarchisés d'appartenance. Et si l'appartenance nationale
occupait naguère, servie par l'historiographie, le champ central ou supérieur
de l'identité, d'autres espaces culturels et d'autres valeurs suscitent aujourd'hui
de larges adhésions. La fonction identitaire de l'histoire se joue aussi aux
racines de ces espaces et de ces valeurs, par exemple, l'espace nord-américain
ou la justice sociale.
Car l'identité des gens qui peuplent le
territoire québécois n'est pas simple. Le peuplement est divers ; les
appartenances, ambiguës ; les origines, lointaines. L'image de
l'association simple d'un peuple et d'un territoire tient rarement. Au Québec,
elle est particulièrement problématique. La réduction au plus petit dénominateur
commun est donc tentante : le descendant des premiers colons, parlant
encore français et vivant sur le soi provincial. Il serait excessivement
optimiste de penser que ce schéma réducteur n'est que caricaturai et qu'il est
partout dépassé. Il n'en est pas moins, presque partout, en voie de dépassement.
Et ceci est important quant au rôle de l'éducation historienne et quant à la
compatibilité de l'identitaire et du critique.
Considérons donc trois directions
d'élargissement de l'identité collective et de l'éducation historienne :
la multiplicité ethnique, le champ spatial, la profondeur temporelle.
Les Amérindiens sont au programme de
quatrième secondaire. Dans le premier des sept modules, deux des six objectifs
intermédiaires leur sont dédiés : « distinguer les influences
réciproques des civilisations française et amérindiennes [33] ». Ce préambule à la Nouvelle-France
ne signifie pas que le rapport inégal et actuel entre les cultures eurogènes et
les cultures autochtones soit perçu comme constitutif de l'identité québécoise.
Cela pourrait cependant advenir. De même l'identité du Québec contemporain
comporte cette convivialité urbaine de communautés ethniques diverses formées
par des strates d'immigrants dont les plus anciens forment la communauté majoritaire.
Dans certaines écoles de Montréal, les enseignants réalisent à quelle crise
aiguë peut conduire l'incurie à intégrer cette dernière dimension de notre
identité. Ailleurs, un autre enseignement de l'histoire peut encore devancer la
crise. Il peut aider à comprendre comment l'identité d'un peuple change et
comment une identité nouvelle s'articule sur l'identité précédente. L'intelligence
du changement social n'est-elle pas le but même des études d'histoire ?
Ainsi entendue, l'identité se borne encore à
l'espace québécois. Mais qu'est-ce qui interdit de prendre en compte les autres
appartenances qui parcourent ou englobent le champ psychosocial des Québécois
et d'élargir ainsi le champ spatial de l'identité ? De l'appartenance
canadienne - à nous les Rocheuses ! - je dirai peu, de crainte de révéler
quelque parti pris. Les programmes scolaires y font la seule place sûre :
institutionnelle. Le programme de quatrième secondaire s'intitule
« Histoire du Québec et du Canada » suivant une des variantes
sémantiques sur lesquelles les manuels jouent depuis le Vaugeois/Lacoursière de
1968 qui s'intitulait bizarrement Canada-Québec : synthèse historique.
L'appartenance à l'espace nord-américain est par contre négligée, alors que les
solidarités des valeurs et des modes de vie - la retraite en Floride - sont
bien antérieures au Traité de libre-échange. L'appartenance à la francité n'est
guère mieux servie, malgré la grande force identitaire de la langue. Elle est
gênée par une francophobie latente héritée sans doute des méfiances de l'Église
ultramontaine et des intérêts de l'Empire britannique. L'appartenance à la
civilisation occidentale, l'identité occidentale des Québécois, est cependant
l'orientation la plus prometteuse. Mais ici l'élargissement spatial est
conditionnel à l'approfondissement temporel.
Les Québécois sont amputés de leur longue
durée, bien plus peut-être que les autres peuples d’Amérique. L'Américain de
culture anglo-saxonne connaît la rupture entre son histoire et celle de
l'Europe. Il connaît aussi la continuité entre elles. Et l'histoire, sinon de
l'Occident, au moins de l’Angleterre jusqu'au XVIe siècle fait partie du patrimoine
américain et participe à son identité. C'est mieux que rien. Par contre, pour
les Québécois, l'histoire identitaire commence brutalement avec Cartier ou
Champlain. Comme si la Providence avait tout à coup créé une nouvelle culture
pour l'implanter dans l'espace laurentien ! Les siècles de gestation qui
produisent dans l'Europe occidentale des structures mentales et religieuses
originales, des coutumes et des savoir-faire spécifiques, des rapports sociaux
et des régimes politiques particuliers qui sont importés dans l'espace
américain, avant de s'y développer et de s'y transformer selon des dynamismes
nouveaux, tout cela est ignoré. Et quand des programmes scolaires imposent,
sous le nom barbare de « moyen âge », l'étude des origines
occidentales, celles-ci sont souvent traitées comme un monde étranger plutôt
que comme le temps de l'élaboration de ce que nous sommes. C'est ainsi que,
l'histoire de l'Église ne remontant jamais au-delà de la Réforme, catholiques
et protestants n'ont pas de tronc commun, dans l'imaginaire québécois. Par
contre, paradoxalement, legs de la culture intellectuelle et aristocratique des
collèges classiques, les civilisations grecque et romaine de l'antiquité
lointaine sont parfois présentées comme plus proches de nous. Bref, l’Atlantique,
césure dans l'espace, est aussi césure dans le temps. Réintégrer dans le
patrimoine québécois la longue durée de ses origines européennes, c'est sans
doute la façon la plus féconde d'élargir l'identité québécoise et de consolider
sa dimension occidentale [34].
Il est illusoire de penser que l'enseignement
de l'histoire et a fortiori la diffusion publique de l'histoire abandonne sa
fonction identitaire. Le problème que nous avons posé est celui de la
conciliation des deux fonctions. L'incompatibilité parait évidente quand la
fonction identitaire conduit à rétrécir les champs d'étude, à stimuler les
exclusions, à susciter des passions religieuses, patriotiques, nationalistes, à
développer des oeillères. Nous avons montré cependant que l'identité collective
pouvait n'être pas réduite à son plus petit commun dénominateur national.
S'identifier comme Québécois, c'est s'identifier dans un rapport multi-ethnique
complexe, c'est se définir par des appartenances particulières au Canada, à
l’Amérique du Nord, à la Francité, c'est enfin surtout se reconnaître dans la
longue durée occidentale.
Certes, ni le public, ni même les enseignants
d'histoire ne vivent entièrement ainsi leur identification collective. Ces
orientations ne sont cependant pas utopiques ; elles se dessinent
lentement comme un fruit de la modernité québécoise post-référendaire. L'évolution
des programmes, les pratiques scolaires et médiatiques, la recherche historienne
peuvent contribuer à la maturation de ce fruit. Et, dans cette perspective,
fonction critique et fonction identitaire de l'histoire deviennent peut-être
conciliables [35]. L'enseignant peut échapper à la
schizophrénie.
Il reste que c'est à la fonction critique de
l'histoire que l'enseignant doit consacrer l'essentiel de ses énergies, pour la
simple raison qu'il est seul à remplir ce rôle social. Les médias suscitent
l'émotion et l'identification. Les médias véhiculent massivement l'information,
non seulement sur tous les champs de la vie sociale présente, mais aussi, de
plus en plus, sur le passé. Micheline Dumont décrit fort bien ce rapport inégal
entre l'enseignant et les médias :
Ces fonctions de l'histoire, elles se
produiront tôt ou tard via la politique, les médias, le marketing de telle ou
telle idée, les bulletins de nouvelles, les émissions du Point ou de Caméra 89
et les sites historiques de Parcs Canada. Dans cet orchestre tonitruant,
l'humble professeur d'histoire joue du piccolo. Il ne saurait rivaliser avec la
force d'évocation d'un film, avec la puissance dramatique d'un bulletin de
nouvelles, avec l'astuce d'une campagne publicitaire. Son rôle n'est pas de
diffuser un message donné, il est justement avant tout de préparer l'élève à
affronter ce mitraillage d'informations disparates avec des instruments
efficaces [36].
Doter l'élève et ensuite l'étudiant de ces
instruments efficaces, c'est enseigner l'histoire selon sa fonction critique.
Ainsi l'histoire joue sa partition majeure dans la formation de la personne à
l'autonomie et elle contribue, au-delà de l'école, à introduire « dans les
mémoires collectives un sens critique qui, progressivement, démystifie le
passé, le souvenir du passé et le discours sur le passé [37] ».
L'exercice de cette fonction critique dans
l'éducation historienne, comment se manifeste-t-il ? Faute de guide
systématique [38], nous essaierons de répondre à
cette question en partant du premier module des programmes du secondaire. Nous
en marquerons la promesse et les faiblesses. Cela permettra d'illustrer
quelques-uns des principaux objectifs d'apprentissage critique et de comprendre
quels effets sociaux pourrait produire l'atteinte de ces objectifs.
Les objectifs généraux des cours sont centrés
sur les apprentissages méthodiques : « avoir acquis des concepts et
des habiletés relatifs à l'étude de l'évolution des sociétés [39] », « être initié à la
démarche historique [40] », « avoir accru ses
habiletés intellectuelles relatives à la démarche historique [41] », « être sensibilisé à
la nécessité, aux principes et aux limites de l'analyse historique des
phénomènes sociaux [42] ». Cependant, sauf le
premier, tous les modules des programmes d'histoire du secondaire sont
déterminés par des contenus historiques disposés chronologiquement et les objectifs
de ces modules sont orientés vers les apprentissages de ces contenus et non
vers les apprentissages d'aptitudes historiennes. Comme nous l'avons déjà constaté
sous un autre angle, il y a ici aussi divorce entre le discours du programme et
la structure du programme. La structure invite à l'enseignement traditionnel,
pour lequel il importe d'accumuler des connaissances factuelles, entre autres
celles qui constituent les principaux repères identitaires.
Reste le premier module d'histoire générale.
Son objectif ? « À la fin de ce module, l'élève devrait comprendre la
nature de l'histoire et les moyens de s'initier à la connaissance
historique [43] » et il est précisé que
« ... les objectifs de ce premier module doivent être poursuivis tout au
long du programme et ne peuvent être vraiment atteints qu'à la fin de ce
dernier [44] ». Si cette précision
n'était pas un voeu pieux, nous disposerions au Québec d'un programme
exceptionnellement novateur. Chacun des deux volets du module illustre fort
bien les types d'apprentissage qui seraient au coeur d'une histoire orientée
vers sa fonction critique.
Dans le premier volet, il s'agit de
« définir l'histoire comme étant l'étude de l'évolution des sociétés [45] ». Cela nous introduit aux
apprentissages conceptuels. Certes, les apprentissages factuels anciens recourent
inévitablement à des termes abstraits : cause, conclusion, crise,
croyance, économie, évolution, oligarchie, période, société, synthèse,
travail... Mais ces termes restent des mots dont le sens est imprécis. Les
premiers travaux des étudiants qui arrivent à l'université en témoignent de
façon éclatante. L'apprentissage conceptuel au contraire vise systématiquement
le maniement d'abstractions, non plus comme mots, mais comme outils de pensée.
Dès lors la définition distraite et approximative ne suffit plus. Chaque
concept exige un travail didactique avec explications et exercices pratiques
répétés. On fait appel aux facultés d'abstraction toutes neuves de l'enfant et
de l'adolescent et du même coup, loin de les laisser en friche, on les
« cultive », dans le sens le plus généreux du mot. Cela les médias ne
peuvent le faire.
Le programme oriente cet apprentissage
conceptuel dans trois directions : les concepts liés à la
« société », les concepts liés à l'« évolution » et la
« fonction de l'histoire ». Dans la première direction, il s'agit des
diverses solidarités, familiale, territoriale, sociale et des catégories
statistiques qui permettent de les analyser. L'élève apprendra entre autres la
différence entre une « population », une « nation », un
« État », ce qui apparaît bien comme un outillage conceptuel indispensable
pour recevoir de manière critique les informations des médias et pour se
comporter en citoyen conscient. En 1980, face au déferlement des propagandes
référendaires, ce n'est pas un manque de connaissance sur les faits des
histoires canadienne et québécoise qui a nui à la rationalité des choix, c'est
le défaut d'outillage conceptuel (« État », « nation »).
L'éducation par l'histoire eût-elle été plus rationnelle dans les années
antérieures que le résultat du référendum eût été peut-être différent.
La deuxième direction de l'apprentissage
conceptuel concerne le temps. Au concept de base,
l'« évolution » [46], se rattachent tous les concepts
du temps : présent, passé, futur ; rupture, continuité et rythmes du
changement [47]. C'est un travail didactique
essentiel mais ardu que de développer chez l'enfant et l'adolescent la
conscience de ce que le changement n'est pas uniforme. Et quel meilleur usage
faire du déroulement de l'Histoire ? Il est mieux armé le citoyen qui aura
compris que les mentalités ne changent pas nécessairement au rythme des
techniques, ni les institutions au rythme des mentalités [48].
La troisième direction est la réflexion sur
la fonction de l'histoire. Elle est indispensable pour la raison pédagogique
élémentaire que l'élève doit savoir à quoi sert ce qu'on lui fait apprendre.
Elle est de plus indispensable à un second degré. Le citoyen baigne dans du discours
historique et dans la mémoire collective. L'évocation du passé est partout
présente, dans le langage quotidien, dans les discours idéologique, politique
ou religieux, dans les séries télévisées. Pour négocier son rapport critique
avec cet univers de la rétrospection, le citoyen doit avoir réfléchi sur la
fonction sociale du rapport au passé. Où l'apprendra-t-il, sinon à
l'école ? Et ce n'est pas facile à enseigner. Car il ne s'agit pas
simplement de répondre à la question naïve et si naturelle : « À quoi
ça sert l'histoire ? ». Il faut à chaque pas étudier le fait passé et
le rapport de ce fait au présent. Ainsi, quand il est question de l'inévitable
Christophe Colomb, après avoir présenté le fait avec toute l'illustration
pédagogique qu'il permet, il faut aussi demander pourquoi la mémoire de ce
personnage et de cet événement est si présente, pourquoi elle l'est tellement
plus que les exploits des pêcheurs basques ou bretons dans les eaux glacées de
l'Atlantique Nord.
Le projet de ce premier volet s'exprime en
trois aphorismes : les sociétés sont différentes, l'évolution produit les
différences, l'histoire explique ces différences. Avec le deuxième volet, on
passe de la fonction de l'histoire au fonctionnement de l'histoire. Il s'agit
d'« utiliser des moyens qui permettent de retracer l'évolution des
sociétés [49] ». La façon la plus sûre de
développer l'esprit critique n'est-elle pas d'initier à la méthode même de
l'histoire [50] ?
Sans doute la recherche historique s'appuie
sur une érudition considérable faite d'une grande somme de savoirs divers et de
la maîtrise de techniques affinées. La mise en oeuvre de cette érudition n'en
suit pas moins un schème intellectuel relativement simple. La pensée historique
est proche de la pensée critique commune. Portant sur la matière sociale dans
son ensemble et dans le temps, elle est la voie privilégiée de l'apprentissage
de cette pensée [51]. « Penser, c'est savoir
reconnaître les problèmes, distinguer les vrais des faux, en prendre la juste
mesure, c'est savoir les résoudre en identifiant et en recueillant les
informations pertinentes, en sachant traiter ces informations par
l'analyse ; c'est savoir rassembler celles d'entre elles qui éclairent les
problèmes afin de construire des explications ordonnées [...] [52] ».
Le second volet du module
« conceptuel » met en oeuvre l'apprentissage de la démarche en quatre
étapes : la formulation de l'hypothèse, la cueillette des informations,
l'analyse des informations, la conclusion de l'enquête. Les manuels utilisent
volontiers l'analogie avec l'enquête policière. C'est l'occasion de marquer une
différence essentielle. Alors que l'enquête policière débouche sur un jugement
moral, le jugement historique est d'une autre nature. Il ne recherche pas de
coupable, ni n'établit des responsabilités. Il tente d'expliquer le pourquoi et
le comment des changements sociaux. Cela aussi, c'est une tâche didactique qui
requiert habileté, détermination et patience de la part du pédagogue. Faire
comprendre que les changements sociaux résultent du jeu de forces sociales et
non pas des bonnes ou mauvaises volontés de collectivités ou d'individus, c'est
préparer le citoyen à sa maturité [53]. On admettra que cet objectif est
infiniment plus fécond que celui de connaître l'oeuvre de Laurier ou de
Périclès.
La deuxième unité du module s'attache aussi à
la mesure du temps, ce que les programmes d'histoire font assez bien, depuis
longtemps. Dépassant les techniques de datation (années, siècles, millénaires),
elle apprend la périodisation et dépiste l'anachronisme. Sur ce point, les
premiers jeux sont faciles. Qui ne s'amuserait du bracelet-montre au poignet du
légionnaire romain ou de la bicyclette de Louis Hébert ? Tout autre est
l'anachronisme mental, celui qui prête aux hommes des siècles précédents des
valeurs, des motivations, des sentiments qui sont les nôtres. Ici plus
qu'ailleurs s'apprend la distanciation, la connaissance de l'autre comme
« autre » et non comme « même », la découverte de
l'altérité, sans quoi ne se développent ni tolérance, ni respect, ni
compréhension d'autrui. Et on mesure combien la fonction identitaire peut y
nuire, du moins quand elle joue trop a l'étroit.
Enfin, cette unité a pour troisième objectif
intermédiaire de « différencier certains types de documents ». Le
recours aux documents n'est pas neuf dans l'enseignement de l'histoire. Il a
autant suivi les progrès de la typographie que ceux de la pédagogie, avant même
que ne triomphent les modes audiovisuelles. Mais en général le document (texte
d'époque adapté, photographie de site, d'oeuvre d'art ou d'artefact) sert de
support plus que de moyen didactique. Il illustre et souvent il distrait. Ici,
cependant, il est traité et classé comme moyen même de la connaissance
historique, comme témoignage [54]. L'observation de ces traces du
passé et leur interprétation deviennent, le premier procédé d'apprentissage de
l'histoire, tant pour la méthode historienne que pour l'objet historique. Reste
à transférer l'opération mentale de l'élève au citoyen, de la trace du passé à
l'objet d'actualité.
Ainsi donc, à écouter le discours didactique
et les intentions programmatiques, à considérer le premier module du cours
d'histoire générale, il semblerait que notre éducation scolaire fasse une belle
place à la fonction critique de l'histoire. Certes, beaucoup de conditions sont
favorables, plus sans doute que dans d'autres pays francophones. Mais les
réalités demeurent assez loin des projets.
Après avoir déclaré que les objectifs
conceptuels du premier module doivent être poursuivis toute l'année, la
structure des six modules suivants n'en tient guère compte et les meilleurs
manuels à peine plus. Les enseignants restent dominés par la masse des
enseignements factuels qu'on leur impose. Quant au programme de quatrième secondaire,
on n'y trouve plus aucune trace des apprentissages proposés en deuxième. Les
deux programmes s'ignorent. On sait cependant combien il est important que les
apprentissages de savoir-faire soient entretenus et progressivement développés.
Si de tels cloisonnements existent entre histoire générale et histoire
nationale, que dire des cours de géographie et d'initiation à la vie
économique ? Comment les cinq cours de sciences humaines convergeraient-
ils vers un même développement intellectuel et social de l'élève ? Mais le
succès d'une éducation historienne et critique et d'une véritable formation du
citoyen autonome est encore bien plus compromis par les conditions mêmes de
l'enseignement. Les pratiques éducatives historiennes sont mal servies par le
système scolaire.
L'enseignant d'histoire au secondaire qui lit
ces pages sourit doucement ou se met en colère. Selon son caractère, il se
moque ou se révolte du bavardage universitaire. Il se soucie peu d'analyser les
parts du conceptuel et du factuel dans ses pratiques, ni de savoir dans quelle
mesure il oriente son enseignement vers le renforcement de l'identité ou
l'ouverture à l'altérité. Il a le sentiment qu'il fait probablement tout cela
en même temps selon les moyens du bord et les circonstances. Heureux quand il
maintient la discipline et que ses élèves semblent intéressés. D'ailleurs,
selon toute probabilité, cet enseignant a acquis sa formation en histoire a une
époque ou ces problèmes ne se posaient pas, à moins qu'il n'ait jamais acquis
de formation en histoire et que, mathématicien ou géographe, il enseigne
l'histoire par la grâce administrative du bumping [55].
Ni le climat des écoles, ni l'administration
scolaire, ni l'état du corps enseignant ne favorisent la réorientation de
l'éducation historienne vers le meilleur exercice de sa fonction sociale. Les
succès dans ce sens sont l'oeuvre de marginaux. Sans doute le climat des écoles
n'est favorable à aucune discipline. Il l'est encore moins dans les secteurs
dont l'intérêt pragmatique n'est pas évident et que ne valorise pas l'opinion
publique, surtout si l'effort intellectuel requis devient comparable à celui
qu'il parait normal d'attendre en mathématique, par exemple.
L'administration scolaire - à tous les
niveaux - est peu sensible aux « petites matières ». Les enjeux
sociaux de l'éducation ne la concernent pas. Seuls comptent le bon ordre et le
budget. Les maîtres d'histoire sont des modèles ; ils tiennent bien leurs
classes et demandent peu d'investissements. La philosophie de l'éducation qui
l'emporte est celle qui facilite la gestion. Nous illustrerons cette tendance
par deux exemples.
L'administrateur donne la priorité à la
pédagogie générale sur la didactique des disciplines. Il peut d'ailleurs avoir
une certaine connaissance de la pédagogie, alors qu'il ne saurait connaître
les didactiques de chacune des disciplines qu'il gère. Dans l'orientation du
perfectionnement pédagogique, les problèmes généraux l'emportent presque toujours,
particulièrement les questions d'évaluation. Cette philosophie aboutit à penser
qu'un bon pédagogue peut enseigner n'importe quoi, s'il dispose du matériel
adéquat [56]. Cela simplifie beaucoup la gestion
du personnel. L'administrateur aurait raison dans une certaine mesure, si les
apprentissages visés n'étaient que factuels : guidé par le livre du
maître, un enseignant d'expérience peut expliquer le contenu d'un manuel. Il en
va tout autrement quand il s'agit de transmettre les habiletés intellectuelles
liées à la méthode d'une discipline. Il est exclu d'espérer le progrès d'une
histoire méthodique, critique et conceptuelle, sans recourir à des maîtres
formés dans la discipline [57].
Cette polyvalence improvisée n'est pas plus
souhaitable au niveau collégial. De là l'impuissance du pouvoir administratif à
négocier avec les corporatismes disciplinaires. Le gouvernement a échoué dans
sa tentative, pourtant très modeste, d'instituer un cours d'histoire obligatoire
à ce niveau [58]. Quant aux cours de sciences
humaines, ils se partagent en une dizaine de disciplines cloisonnées. Entre
elles, aucune hiérarchie ! L'analyse du rôle spécifique de chacune d'elles
dans la formation intellectuelle et sociale ainsi que dans la préparation aux
études universitaires n'a pas été faite. C'est le triomphe de la cafétéria
intellectuelle et, partant, des techniques de mise en marché des cours. Le
problème n'est plus de bâtir les cours en fonction d'objectifs de formation
mais en fonction des arguments de vente. Toutefois, espérons que la réforme qui
entrera en application mettra de l'ordre dans l'offre des cours et réglementera
quelque peu la libre concurrence [59]. Elle ne réglera, semble-t-il,
aucun problème sur le fond puisqu'il n'appartient pas aux historiens de décider
que l'histoire est une discipline de formation de base [60]. Encore eût-il fallu que le
pouvoir administrateur pose la question et aménage les programmes du collégial,
selon les finalités de celui-ci, quitte à prendre toutes les dispositions transitoires
nécessaires au respect du personnel enseignant.
L'état général du corps enseignant n'est pas
non plus actuellement un facteur de renouveau didactique. Certes, il s'en
trouve chaque année pour animer leur société, organiser le congrès, produire le
bulletin - et même en faire une revue. Il s'en trouve de Thetford à Baie-Comeau
pour entreprendre de difficiles recyclages dans leur discipline, sans l'espoir
d'aucune gratification matérielle. Il s'en trouve pour sacrifier plusieurs
années de labeur ardu à la production d'un manuel. Nous saluons avec admiration
ces hommes et ces femmes - une petite centaine - qui disposent de réserves
d'énergie pour l'amour du métier. Il n'empêche que l'atmosphère dominante est à
la fatigue [61]. Horaires excessifs, classes
lourdes, problèmes de discipline, bureaucratie administrative, conflits de travail,
dégradation du statut social, nous avons usé prématurément une génération
entière d'hommes et de femmes, ceux-là mêmes à qui nous devons le formidable
effort de démocratisation scolaire qui fait la fierté des Québécois.
Car il s'agit bien d'une génération d'un âge
maintenant assez mûr. Ils sont grisonnants les pionniers des années soixante et
soixante-dix. Parmi eux, faute de renouvellement, les jeunes diplômés sont
rares ; ils font de la recherche, vivent de « jobines » ou ont
quitté le domaine de l'histoire. Ces « anciens » connaissent bien
leur métier et ont acquis depuis près de vingt ans leurs qualifications
universitaires. Les connaissances alors acquises ont vieilli avec eux. Parfois
elles se sont même rétrécies aux limites de leur enseignement quotidien. Leur savoir
et celui qu'ils enseignent suivent mal les besoins d'une société en mutation
rapide. Les conditions de travail gênent le perfectionnement de ceux qui
souhaiteraient mettre à jour leurs problématiques historiennes et leurs
connaissances historiques. Par ailleurs les administrateurs - nous l'avons dit
- favorisent plutôt les perfectionnements pédagogiques en vase clos.
La tendance à élargir la fonction identitaire
de l'éducation historique et à privilégier sa fonction critique est désormais
manifeste et répond sans doute adéquatement aux besoins de la société
québécoise. Toutefois cette évolution reste compromise en raison d'incohérences
dans la structure des programmes, des blocages administratifs et du
vieillissement du corps professoral. Les perspectives sont-elles donc
décourageantes ? Dans le court terme, peut-être. À plus long terme
cependant, l'école adaptera son éducation historienne à la nouvelle modernité
du Québec, tout comme elle l'a fait après 1960 [62]. Cela dépendra essentiellement de
trois facteurs : la volonté politique, le renouveau du corps enseignant et
la réflexion programmatique.
Dans une conjoncture où les milieux
d'affaires commencent à ressentir la pénurie d'un personnel cultivé, les
pouvoirs publics ont commencé à s'émouvoir des lacunes dans l'apprentissage de
la langue maternelle - ce qui était le plus urgent. Il est vraisemblable qu'ils
se soucieront aussi bientôt de la formation intellectuelle et sociale, d'autant
plus que l'histoire a cessé d'apparaître comme un instrument révolutionnaire.
Inévitablement, l'école recommencera bientôt
à recruter des enseignants. Deux questions se poseront. Ces recrues
seront-elles recherchées parmi les jeunes candidats les plus brillants et
disposant de la meilleure formation en histoire ? Ces recrues seront-elles
accueillies et stimulées à mettre en oeuvre leurs savoirs, leur enthousiasme et
leur inexpérience ou devront-elles d'abord se ranger ?
Les programmes sont réformés environ aux dix
ans. La prochaine réforme interviendra probablement à la fin des années
quatre-vingt-dix. Sera-t-elle préparée par une réflexion systématique sur les
fonctions sociales de la formation historienne et sur l'état actuel des
connaissances en histoire comme en didactique ? Ou résultera-t-elle de négociations
et de compromis entre enseignants, historiens, didacticiens et
administrateurs ?
Quoi qu'il en soit, même si l'éducation
historienne offerte à l'école était la mieux adaptée qui soit aux élèves et au
présent, « les enfants ne pourraient à treize ou quinze ans acquérir une
culture qui s'adapterait automatiquement à leur maturation et leur servirait
pour la vie [63] ». L'éducation scolaire
n'est que le début de l'éducation permanente. Or, l'histoire est omniprésente
dans l'éducation permanente, sous mille formes : livres et périodiques,
films et séries télévisées, jeux et théâtre, musées et centres
d'interprétation. Là se trouve un autre enjeu de l'éducation historique et qui
échappe à l'action institutionnelle.
Des orientations de l'éducation scolaire et
de l'éducation permanente, les historiens, et les intellectuels en général, ne
peuvent se désintéresser. L'éducation historique est une responsabilité des
départements universitaires et de tous les centres de recherche voués à la
culture. Leur implication sera un autre facteur du progrès de cette éducation,
quand, désertant les tours d'ivoire, ils développeront leur attention critique
et qu'ils apprendront à participer à la production des instruments d'éducation
populaire [64].
Car « la démarche historienne se révèle
une des modalités de la recherche de l'Autre, par quoi se définit l'historicité
de l'Homme, et son intention dernière, comme la reconstitution des multiples
visages de la liberté [65] ».
Fin du texte
[1] Nous avons coutume d'employer
« historien » comme adjectif pour distinguer l'activité présente,
« recherche historienne », « production historienne »,
« éducation historienne » de son objet ou de ses matériaux passés,
« source historique », « personnage historique »,
« changement historique ».
[2] Le bilan le plus récent et le plus positif
est celui de Micheline Dumont, « L'enseignement de l'histoire »,
Traces, no 27, avril 1989, pp. 29-36. L'évolution du dernier quart de siècle
est tracée avec une verve décapante sous la forme du témoignage par Jean
Breton, « Quand l'humble se raconte... », Traces, no 26, juillet
1988, pp. 14-21. Les moutures successives des programmes sont décrites par
Louise Charpentier, « Qu'avons-nous enseigné ? », Bulletin de
liaison S.P.H.Q., no 25, octobre 1987, pp. 31-36. D'une manière générale, le
Bulletin de liaison de la Société des professeurs d'histoire du Québec, qui
paraît depuis 1988 sous le titre de Traces, est un bon révélateur des genres et
des niveaux des préoccupations et débats suscités parmi les enseignants d'histoire.
[3] Dans un article récent sur lequel nous
reviendrons, Christian Laville fait le point sur l'importance du rapport au
passé pour la cohérence des groupes sociaux (« L'histoire et l'identité
des minorités », Récits de vie et mémoires. Vers une anthropologie
historique du souvenir, dir. par B. Jewsiewicki, [Sainte-Foy], Safi, [1988],
pp. 147-188.
[4] André Ségal, « Pour diffuser la culture
historique », Recherches actuelles et mémoires collectives, Actes du
CELAT, no 1, mars 1988, p. 49. Le lecteur nous permettra de ne pas noter chaque
fois la référence quand, dans la suite du texte, nous emprunterons une idée ou
une expression de cet article.
[5] Histoire générale. 2e secondaire. Formation
générale, 67 p. et Histoire du Québec et du Canada. 4, secondaire. Formation
générale et professionnelle, 67 p. Ces programmes d'études ont été publiés l'un
et l'autre en avril 1982 par le Gouvernement du Québec. La publication de ces
programmes a été suivie de la publication par le gouvernement de Guides
pédagogiques volumineux. Ensuite, de 1984 à 1986, six éditeurs ont produit les
onze manuels qui se disputent le marché. On en trouvera la liste bibliographique
dans M. Dumont, loc. cit., p. 30. L'implantation de ces programmes,
particulièrement le plus neuf, celui de 2e secondaire, a été lente et
difficile.
[7] Direction générale de l'enseignement
collégial, Projet de réforme du programme de sciences humaines, 1989.
[9] Nous n'oublions pas les films, séries
télévisées et matériels audiovisuels. Toutefois, les historiens, encore gens du
livre, se sont jusqu'ici peu impliqués dans ces formes de diffusion. il en
résulte un hiatus profond entre ces productions populaires et la production
scientifique.
[10] Ce problème a fait l'objet de séminaires du
CELAT dont les exposés ont été publiés : Jacques Mathieu, « Étude de
la construction de la mémoire collective des Québécois au XXe siècle/présentation
générale », dans Jacques Mathieu (dir.), Étude de la construction de la
mémoire collective des Québécois au XXe siècle. Approches multidisciplinaires,
Cahiers du CELAT, no 5, novembre 1986, p. 3-6.
[11] Par exemple, Guy Bourdé et Martin Hervé, Les
écoles historiques, Paris, Seuil, (Points-Histoire), 1983, p. 201.
[12] Voir Barbara J. Howe et Emory L. Kemp, éd.,
Public History : an Introduction, Malabar, Fla., R.E. Krieget Pub. Co.,
1966.
[13] Par exemple Lynne Hall, Report Cardon Canadian
MBA Programs, Queen's University School of Business, 1986, p. 5 et 10.
[15] Les signes de la distance excessive entre la
pratique éducative et la pratique scientifique ne manquent pas. Par exemple, la
Société des professeurs d'histoire du Québec regroupe les enseignants qui sont
sur le front de l'éducation historique, mais les historiens des universités et
des centres de recherche qui fréquentent cette société se comptent sur les
doigts de deux mains. Ce sont souvent les mêmes et non pas nécessairement les
plus représentatifs de la profession.
[16] C'est le cas de Christian Laville (loc. cit.,
pp. 177-181) et de Micheline Dumont (loc. cit., pp. 34-35), avec des justifications
cependant différentes, plus idéologiques chez le premier, plus pragmatiques
chez la seconde.
[17] « Didactique de l'histoire »,
Dictionnaire des sciences historiques, dir. par André Burguière, Paris, PUF,
[1986], p. 196. L'auteur exprimait déjà cette idée dans
« Présentation », Enseigner l'histoire. Des manuels à la mémoire,
Berne, Peter Lang, 1984, p. 122, no 1.
[26] L'École québécoise, énoncé de politique et
plan d'action, ministère de l'Éducation du Québec, Éditeur officiel du Québec,
1979, particulièrement pp. 16-17.
[27] Cette version du plaidoyer pour l'histoire,
note Henri Moniot (« Présentation p. 5), sert l'intérêt des adultes,
tandis que l'autre poursuit l'intérêt des enfants.
[28] Des exemples multiples et récents de ces
rapports entre l'État, l'identité nationale et l'éducation historique ont été
relevés par Marc Ferro, Comment on raconte l'histoire aux enfants à travers le
monde entier, Paris, Payot, 1981 et L'histoire sous surveillance, Paris,
Calmann-Lévy, 1986.
[29] Gérard Cachat, Montréal, Lidec, 1984 ;
François Charbonneau, Jacques Marchand et Jean-Pierre Sansregret, Montréal, Guérin,
1985 ; Danielle Dion-McKinnon et Pierre Lalongé, Montréal, Éditions du
renouveau pédagogique, 1984.
[30] Cette séquence du général au national n'a pas
changé depuis 1962 (L. Charpentier, loc. cit., p. 34). On la retrouve aussi
hors du Québec.
[31] C'est le titre d'un des manuels : Guy
Dauphinais, Montréal, Éditions du renouveau pédagogique, 1986.
[32] Ainsi les pyramides d'Égypte ont un grand
succès. Mais il faut éviter de confondre le goût de l'étrange et l'intérêt pour
l'étranger, l'évasion vers ailleurs et la compréhension de l'autre. Il se peut
qu'ils soient contradictoires.
[34] Mieux que ce faux nationalisme rétrospectif
qui chercherait des origines soit dans les Îles britanniques, soit dans les
pays qu'absorbera l'État français, l'approfondissement temporel ferait surgir
comme bâtisseurs de notre présent aussi bien le moine bourguignon du XI.
siècle, que le défricheur saxon du XII., que le tisserand flamand du XIlle, que
le banquier florentin du XlVe, que le marin basque du XVe ou que l'imprimeur
rhénan du XVIe.
[35] Ce problème fait écho au débat beaucoup plus
large et ancien entre la culture universelle et les cultures particulières. On
en trouve une trace récente dans Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée,
Paris, Gallimard, (Folio/essai), 1987, 185 p. et dans la lecture critique qu'en
fait Marcel Rioux, « Les frusques de la semaine et l'habit du
dimanche », Possibles, vol. 12, été 1988, pp. 27-36.
[37] André Ségal, « Mémoire collective et
communication de l'histoire », Récits de vie et mémoires. Vers une
anthropologie historique du souvenir, op. cit., p. 145.
[38] Bien que les revues pédagogiques fassent état
de multiples expériences et que les didacticiens de l'histoire publient leurs réflexions,
il n'existe pas de traité de didactique de l'histoire qui présente une synthèse
des pratiques ou une théorie générale. Sans former non plus un ensemble
systématique, sont très enrichissantes les onze études publiées par Christopher
Portal (éd.), The History Curriculum for Teachers, Londres, The Falmer Press,
1987, 245 p.
[45] lbid., p. 22. Nous avons fait l'analyse
critique de cette unité dans « Enseigner la différence par
l'histoire », Mélanges Van Santergen, Cahiers de Clio, no spécial, 1984,
pp. 39-45. Les observations qui suivent sont inspirées de cet article.
[46] Le terme d'« évolution » a une
connotation positiviste et ethnocentrique : il renvoie à l'idée de
« progrès ». Ce n'est pas un hasard : la structure générale des
programmes suggère fortement une marche en avant continue de l'humanité, dont
notre civilisation est l'aboutissement. C'est un des « changements »
et plutôt que de définir l'histoire comme étude de l'évolution des sociétés, la
définir comme étude du changement social.
[47] À propos des rythmes du changement, voir
André Ségal, « Pour une didactique de la durée », Enseigner
l'histoire. Des manuels à la mémoire, op. cit., pp. 93-111.
[48] Le programme introduit aussi les concepts de
« performance » et de « relativité ». Ce sont des
maladresses de la nouveauté, des plâtres à essuyer. La « relativité »
est dans le jugement et non dans le temps, la « permanence » n'est
pas un concept de l'histoire. Par rapport au temps historique, il y a des
permanences physiques et même biologiques, mais parler de permanences historiques,
c'est laisser croire qu'il existe des structures sociales immuables, en quelque
sorte une nature sociale et non point seulement des cultures. Voir André Ségal,
Enseigner la différence...
[50] Près de nous, Christian Laville a orienté
dans ce sens l'essentiel de ses recherches et de son enseignement de la
didactique, par exemple : « Le manuel d'histoire : pour en finir
avec la version de l'équipe gagnante », Enseigner l'histoire. Des manuels
à la mémoire, op. cit., pp. 77-91 ; « Y a-t-il un didacticien dans la
salle ? », Bulletin de liaison de la S.P.H.Q., no 23, avril 1985, pp.
11-18 ; « L'histoire et l'identité des minorités », déjà
cité ; « Le rôle de l'éducation historique », Traces, no 26,
janvier 1988, pp. 33-35 ; Suzanne Citron (Enseigner l'histoire
aujourd'hui. La mémoire perdue et retrouvée, Paris, Les Éditions ouvrières,
1984) propose plutôt une éducation à la mémoire.
[51] Il est bien entendu que toutes les sciences
sociales, à commencer parla géographie humaine, offrent les moyens de développer
la pensée critique. Leurs méthodes sont cependant en général plus spécialisées,
leurs concepts plus spécifiques et leurs champs plus étroits. C'est pourquoi,
au risque d'être taxé d'impérialiste, nous maintenons que l'histoire a une
vocation particulière dans la formation générale de l'esprit. Nous serions même
porté à maintenir cette vocation jusqu'au niveau collégial.
[53] Une étude de Jocelyn Létourneau montre la
distance à parcourir. Analysant les copies d'étudiants qui participaient au
Concours Lionel-Groulx sur « La révolution tranquille :
1960-1968 », l'auteur montre à quel point le schéma mythique du bon et du
mauvais, incarnés par Jean Lesage et Maurice Duplessis, l'emporte sur une
analyse et un jugement qui seraient proprement historiens. Or, les auteurs de
ces copies étaient choisis parmi les étudiants les mieux formés
(« L'imaginaire historique des jeunes québécois », Revue d'histoire
de l'Amérique française, vol. 41, no 4, printemps 1988, pp. 553-573). Des aspects
de cet article sont repris et abrégés sous le titre « La mémoire de la
technocratie et l'impensable histoire du Québec », Traces, no 27, janvier
1989, pp. 29-31).
[54] La classification suggérée par le programme
est ambiguë. À preuve les interprétations données par certains manuels qui ne
distinguent pas les traces du passé et la reproduction de ces traces. Voir
notre note « Didactique et enseignement de l'histoire », Bulletin de
liaison de la S.P.H.Q., vol. 23, no 2, janvier 1985, p. 19. Par ailleurs,
certains manuels, cependant acceptés par le ministère et diffusés dans
certaines écoles, manifestent une évidente régression quand ils substituent
systématiquement aux reproductions de témoignages authentiques des textes
imaginés par l'auteur et des reconstitutions dessinées par le maquettiste.
[55] Christian Laville (« Y a-t-il un
didacticien ») a fait en 1985 une présentation, toujours valable, du
rapport entre l'enseignant et le didacticien.
[56] Nous ne sommes pas hostile à la polyvalence
des enseignants du secondaire, à condition que leur formation soit elle aussi
polyvalente. Particulièrement, nous souhaiterions qu'existe un corps
professoral unique pour les sciences humaines (géographie, économique,
histoire) et préparé en ce sens par l'Université. Cela faciliterait la gestion
du personnel - ce qui n'est pas un but - et surtout cela aiderait à la
cohérence des enseignements et à la progression des apprentissages en sciences
humaines d'une année à l'autre. Mais aussi longtemps que des mesures de
formation n'auront pas produit leurs effets, les parachutages d'amateurs en
histoire seront désastreux et de même dans d'autres disciplines.
[57] L'observation de Conrad Bureau
(« Opinion », Contact, Québec, Université Laval, automne 1987, p. 31)
s'applique aussi à l'enseignement de l'histoire : « En somme les
futurs maîtres n'apprennent plus le français : on leur apprend seulement à
l'apprendre aux autres ».
[58] Il aurait fallu réduire l'enseignement de la
philosophie. Pourtant, dans notre expérience quotidienne d'enseignement en première
année d'université, nous ne distinguons pas les traces qu'ont pu laisser quatre
sessions de philosophie au cégep. Ces cours sont une survivance des traditions
du collège classique et manifestent particulièrement bien la sclérose des programmes
collégiaux.
[60] À notre point de vue, l'histoire partage ce
statut avec la géographie, la biologie, la psychologie et, bien entendu, les
mathématiques.
[61] Au sujet de l'état du corps enseignant, voir
Christian Laville, « Y a-t-il un didacticien... », loc. cit.
[62] Micheline Dumont (loc. cit.) montre très bien
le virage pris dans les années soixante et poursuivi depuis. Elle en tire une
conclusion fort optimiste quant à la santé actuelle de l'enseignement de
l'histoire. Notre point de vue est différent en ce que nous pensons qu'il y a
un nouveau virage à prendre et qu'il tarde.
[64] Dans un mémoire de maîtrise qu'il est occupé
à terminer, Pascal Lapointe montre à quel point les historiens ont privé
jusqu'ici les réalisations historiques télévisuelles de leur attention
critique.
[65] Nicole Gagnon et jean Hamelin, L'homme
historien, St-Hyacinthe, Edisem, 1979 (Méthodes des sciences humaines), p. 118.